Les déserts alimentaires augmentent la mortalité par insuffisance cardiaque

Une étude américaine vient de le confirmer : la densité et l’accessibilité à des magasins d’alimentation ainsi que la participation à des programmes d’aide alimentaire jouent un rôle dans la surmortalité liée à l’insuffisance cardiaque aux États-Unis. Un constat applicable à la France ?

Commerces de proximité à Vincennes (France) en 2020

La présence de commerces de bouche, un des indicateurs utilisés pour définir un environnement favorable à la santé.

Julien Helaine / Hans Lucas via AFP

Publiée dans Circulation, c’est une étude à grande échelle qu’a réalisée l’équipe du département de médecine interne de l’université du Michigan (États-Unis) puisqu’elle porte sur les données de près de 3000 comtés américains (une division territoriale plus petite qu’un État), soit presque l’ensemble de la population du sous-continent.

L’insuffisance cardiaque comme « maladie test »

Pour mener ce travail à bien, les chercheurs disposaient des données de l’Atlas de l’environnement alimentaire édité par le département américain de l’Agriculture. Cet organisme publie un indicateur appelé FEI : Food Environment Index (indice de l’environnement alimentaire). Cet indice est fondé sur deux types d’observation : l’accès à des aliments sains (par exemple la distance qui sépare une personne d’une épicerie ou d’un supermarché qui vendent des aliments de qualité) et le FI : Food Insecurity (indice d’insécurité alimentaire) qui pointe les difficultés financières empêchant d’acheter ces aliments. L’indice FEI varie de 0 à 10 : plus il est élevé, plus l’environnement nutritionnel d’un habitant d’un comté est élevé. Les États ayant le FEI moyen le plus faible sont le Mississippi, le Nouveau-Mexique, l’Arkansas, la Louisiane, l’Alabama et la Géorgie. Mais l’échelle du comté est plus intéressante car plus fine. Dans l’État du Texas, par exemple, qui ne figure pas dans la liste précédente, le FEI peut varier de moins de 4 pour le comté de Foard à 8,9 pour le comté de Crane. Ainsi dans le comté de Foard, 48% des habitants n’ont pas un accès facile à une alimentation de qualité et 14% des personnes rencontrent des difficultés financières pour se nourrir sainement.

Ces données ont été rapprochées de celles qui sont fournis par le Center for Disease Control and Prevention (CDC) qui répertorie, par comté, les causes de mortalité des Américains, notamment celles qui proviennent d’insuffisance cardiaque. Pourquoi avoir choisi comme « maladie test » l’insuffisance cardiaque ?

Parce que cette maladie, qui se caractérise par l’incapacité du muscle cardiaque à assurer normalement la propulsion du sang dans l’organisme, est en hausse constante, notamment dans les pays industrialisés. En France, plus de 1,5 million de personnes sont atteintes de cette pathologie cardiaque et, selon l’Assurance maladie, l’augmentation de cette affection est de 25% tous les 4 ans. C’est dire l’intérêt qu’ont les États à diminuer sa prévalence au sein de la population, et les scientifiques à en comprendre les causes.

On meurt plus là où il y a moins d’épiceries

Une fois supprimés les facteurs pouvant fausser les résultats, comme la différence de pyramides des âges d’un comté à l’autre, la conclusion de l’étude est sans appel : les comtés dont le taux de mortalité par insuffisance cardiaque est supérieur à la médiane nationale présentent un FEI plus faible, et un FI plus important. Autrement dit, on meurt plus d’insuffisance cardiaque aux États-Unis dans les comtés où il y a moins d’épiceries, où les personnes âgées ont plus difficilement accès aux magasins alimentaires et où le taux de participation au « Supplemental Nutrition Assistance Program », une aide financière fédérale à l’achat de nourriture, est moindre.

Selon les auteurs de l’étude, « il existe des relations importantes entre l’accès à des commerces alimentaires, le prix des produits et la santé cardiaque ». Et toujours selon ces scientifiques ce problème devrait être un axe majeur des politiques de santé publique aux États-Unis.

Interrogée par Sciences et Avenir, la chercheuse à l’Inrae Hélène Charreire, géographe spécialisée sur les interactions entre l’espace urbain, les comportements alimentaires et l’activité physique, trouve cette publication intéressante : « Elle met en relation des données pertinentes entre la santé et le contexte urbain. »

Cependant elle précise : « Selon les pays, un désert alimentaire correspond à des situations différentes. En France, on parle de désert alimentaire lorsqu’une personne vit dans un environnement avec peu ou pas de commerces proposant des aliments sains à des prix abordables, notamment des fruits et des légumes ; on parle aussi de « marécage ou de bourbier » lorsque l’offre alimentaire est importante mais uniquement constituée de commerces de type fast-food. Mais ces définitions sont restrictives. Pour prendre en compte la réalité de l’environnement alimentaire d’une population donnée, il faut tenir compte d’autres facteurs comme l’offre disponible autour de son lieu de travail ou avec les commandes en ligne et les pratiques spatiales d’approvisionnement [utilisation de la voiture ou non pour faire les courses par exemple] ».

Quid de la situation en France ?

Mais la recherche française a-t-elle dressé des cartes de ces déserts alimentaires ? « Même si nous sommes en mesure de dresser ce type de cartographie à l’échelle nationale, les travaux sont plus orientés sur des territoires plus fins, à l’échelle d’un quartier, d’une ville, ou d’une métropole, répond Hélène Charreire, car cette approche est pertinente pour cerner la diversité des territoires, et par la suite plus efficace quand il agit de trouver des solutions. »

Pour étayer sa démonstration, la chercheuse rappelle que des travaux ont été menés dans l’agglomération de Montpellier (Grand Montpellier), qui ont montré que la répartition géographique des commerces de qualité ne dépend pas que du niveau des revenus des quartiers, ce qui peut paraître contre-intuitif. C’est oublier qu’il existe des zones pavillonnaires péri-urbaines avec peu de commerces, où vit une population aisée.

Quant aux solutions ? La première idée qui vient à l’esprit est la création de marchés alimentaires de proximité dans ces « zones désertiques ». Pas si simple, nous explique Hélène Charreire : « Il faut que les produits proposés soient adaptés aux habitudes de la population et à ses possibilités financières. Sans compter qu’il y a des stratégies alimentaires complexes qui ne dépendent pas que de la proximité à un commerce ».

Mais ces problématiques commencent à trouver un écho auprès des élus : dans le cadre de la rénovation à Paris du quartier de la porte de la Chapelle, une étude est en cours pour analyser les approvisionnements alimentaires dans ce quartier dont certains secteurs sont considérés jusqu’à présent comme des déserts alimentaires.

Source: Sciencesetavenir.fr
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