Coronavirus : à quatre mois des Jeux olympiques, la lutte antidopage est fortement réduite

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Pour les apprentis sorciers du sport, le moment a rarement été aussi propice : la pandémie de Covid-19, qui touche désormais la quasi-totalité des puissances olympiques, a mis un coup brutal à la lutte antidopage dans le monde. De sorte que l’équité du futur Tour de France et des Jeux olympiques, s’ils sont maintenus au mois de juillet, semble plus difficile à garantir que ces dernières années.

Les compétitions sportives sont certes à l’arrêt dans leur quasi-totalité, mais la lutte antidopage privilégie habituellement les contrôles à l’entraînement, période où les produits dopants les plus sophistiqués sont utilisés. Ces contrôles hors compétition, qui visent à sauvegarder l’équité des futures compétitions, deviennent délicats à pratiquer : les sportifs sont beaucoup plus facilement localisables, mais les préleveurs antidopage sont plus rarement disponibles.

« Les agents de contrôle de l’Agence française de lutte contre le dopage [AFLD] sont pour une large part des professionnels de santé exerçant en milieu hospitalier ou en ville et sont ou seront fortement mobilisés durant la phase épidémique, explique l’AFLD. Leur mission de soignant est absolument prioritaire (…) D’autres restent cependant disponibles et l’agence les remercie également. »

L’AFLD assure mettre l’accent sur les missions de contrôle visant les sportifs susceptibles de participer aux JO de Tokyo, « à la condition qu’elles puissent être réalisées dans des conditions de sécurité maximale. Les contrôles sont exclusivement individuels et toutes les mesures de protection nécessaires sont prises. »

Le département des contrôles de l’AFLD s’est enquis en début de semaine de la disponibilité de ses préleveurs, sur la base du volontariat. Interrogée sur ce point, l’agence n’a pas précisé combien avaient répondu présents. De manière générale, la lutte antidopage s’est murée dans le silence et tente d’écoper avec les moyens qui lui restent.

L’AFLD, l’Agence mondiale antidopage (AMA) et l’Agence de contrôles internationale (ACI), qui dirige les contrôles de nombreuses fédérations internationales (ni l’athlétisme, ni le football, ni le cyclisme, pour l’instant) et notamment le programme de tests préolympiques, ont chacune décliné nos demandes d’entretien et répondu par communiqué.

En France, comme au niveau mondial, où les contraintes de déplacement sont généralisées, impossible de connaître le nombre de contrôles pratiqués ces dernières semaines. L’obsession : éviter que les sportifs ne se disent, comme le suggère l’ancien cycliste et héraut de la lutte antidopage Christophe Bassons, que « c’est open bar ».

« Nous nous efforçons de maintenir nos programmes du mieux possible et j’enjoins aux médias de ne pas résumer cela à une porte grande ouverte aux athlètes qui voudraient se doper, dit Benjamin Cohen, directeur général de l’ACI. Ce n’est pas le cas et je pense que cela dessert tout le monde de le suggérer. Certains contrôles ont lieu, d’autres doivent être reportés. La situation évolue de jour en jour et de pays à pays. Lorsqu’un contrôle ne peut avoir lieu, nous le reportons de quelques jours et retentons la collecte d’échantillons. »

Les activités des laboratoires antidopage sont contraintes. Huit dans le monde ont suspendu les analyses, dont celui de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). L’Europe fonctionne avec 10 laboratoires au lieu de 17 et, au niveau mondial, plus d’un tiers des établissements sont soit fermés, soit privés momentanément de leur agrément pour d’autres raisons.

Si ces laboratoires fermés peuvent stocker des échantillons d’urine, ceux de sang, destinés à enrichir les passeports biologiques des athlètes, ne peuvent pas être congelés. Ils doivent être envoyés ailleurs dans le monde.

L’inquiétude fut vive, dans la communauté sportive, lorsque l’agence antidopage chinoise a annoncé le 3 février l’interruption de son activité. Désormais, voilà le monde entier, ou presque, à la même enseigne. Mercredi, les agences américaine, britannique ou allemande ont annoncé une réduction importante des contrôles et toutes déclaré prioritaires les athlètes olympiques.

L’ACI admet que « dans plusieurs pays lourdement affectés par le Covid-19 (…), l’ACI a dû momentanément reporter un certain nombre de contrôles ». L’agence sise à Lausanne et mise sur pied par le Comité international olympique (CIO) tente de « trouver le bon équilibre entre la santé publique, en priorité, et la lutte antidopage, ensuite ».

L’AMA, autorité régulatrice, semble demander l’impossible aux agences de contrôles : « Il est essentiel qu’elles suivent les conseils des autorités sanitaires locales afin d’assurer la protection adéquate des athlètes et des préleveurs tout en protégeant l’intégrité des programmes de contrôle antidopage, particulièrement dans l’optique des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo 2020. »

L’AMA ajoute que si des athlètes dont le pays ou la discipline est considérée comme étant « à risque » de dopage n’ont pas été suffisamment contrôlés, ils seront ciblés au moment du retour à la normale. Mais le décalage temporaire entre les continents laisse planer le doute quant aux capacités des agences de garantir une équité de contrôles lorsque arriveront les Jeux olympiques, que le CIO ne souhaite pas, pour l’heure, reporter.

Christophe Bassons, qui vient de cesser sa collaboration avec l’AFLD en Nouvelle-Aquitaine, constate que « pour ceux qui veulent bricoler tranquille, le moment est opportun. Dans un sport de force, on peut prendre de la masse musculaire, et une fois qu’on l’a acquise, on ne la perd pas. C’est aussi le moment opportun pour prendre des produits de récupération après la première phase du championnat en rugby, par exemple ». Les dernières méthodes de détection permettent néanmoins de repérer certains stéroïdes anabolisants dans l’urine jusqu’à huit semaines.

Concernant l’EPO, le professeur Michel Audran, ancien directeur du laboratoire de Châtenay-Malabry, est sceptique quant à son efficacité à cette période de l’année : « Je n’en vois pas d’utilité compte tenu du temps qui nous sépare des grandes compétitions – l’effet de l’EPO est de trois à quatre semaines maximum. Ce serait plutôt pour augmenter ses charges d’entraînement. » Or certains sportifs peuvent encore s’entraîner librement, notamment en Afrique ou en Amérique du Sud. Une autre rupture d’équité.

Source: lemonde.fr

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