« Un plan d’urgence ne suffira pas, il faut un New Deal pour le football »

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« Plus rien ne sera comme avant, après cette année terrible », a déclaré Aleksander Ceferin, président de l’UEFA (Union des associations européennes de football), au quotidien italien La Repubblica. L’industrie du football ne fait donc pas exception au reste du monde, du moins si l’on accorde crédit à cette prophétie très entendue en ce moment.

« J’espère que cela nous changera tous, à commencer par le football. » Le vœu est de l’entraîneur Carlo Ancelotti. Dans ce secteur, comme ailleurs, beaucoup assurent qu’il y aura un « avant » et un « après », prédisant un bouleversement des valeurs et des systèmes. On connaît l’avant, mais quel sera l’après ?

Pour l’heure, le football professionnel gère dans l’urgence la « menace existentielle » formulée par Andrea Agnelli, président de la Juventus. Si l’on ne peut que conjecturer sur la reprise ou l’abandon des compétitions en cours, l’ampleur de la crise économique au sortir de la crise sanitaire ne fait aucun doute.

Non seulement les recettes liées aux jours de match s’évanouissent et les flux liés aux transferts sont menacés, mais les diffuseurs coupent déjà l’alimentation : Canal+ a officialisé le non-versement de la dernière traite pour la saison de Ligue 1.

Plusieurs clubs ont annoncé des mesures de baisse des salaires des joueurs – leur principal poste de dépense. L’austérité qui vient prépare aussi un effondrement du marché des transferts. Selon un document que s’est procuré le New York Times, la FIFA travaille sur un plan de sauvetage afin d’éviter des faillites, portant sur les salaires, les contrats et les fenêtres de transferts.

L’UEFA envisage des assouplissements de son fair-play financier, la FIFA évoque la création d’un fonds de soutien abondé par ses immenses réserves. Gianni Infantino, son président, en deviendrait décroissant : « Nous pouvons peut-être en profiter pour réformer le football en faisant un pas en arrière. »

Nul n’est tenu de croire Gianni Infantino sur parole. Le football va d’abord passer un test de solidarité. Les instances ne peuvent ignorer que les clubs modestes sont plus menacés que les grosses écuries, et que les mesures prises par ces dernières relèvent d’un dangereux cavalier seul.

Or, précisément, le principe de solidarité a été mis à mal depuis trois décennies par l’augmentation des écarts de richesse au profit d’une oligarchie, qui a tiré avantage de la dérégulation du football et de la concentration des ressources. Comment ne pas profiter d’une telle pause pour réfléchir à une sortie de ce modèle ?

Ainsi, ce n’est pas l’éclatement d’une « bulle financière », maintes fois annoncé, qui aura eu raison de l’insolente croissance de l’industrie du football. Simplement, atteint de gigantisme, incapable de résister à deux ou trois mois d’arrêt, tout l’édifice menace de s’écrouler.

Seule une gestion mutualiste, soutenue par des pouvoirs sportifs forts, assurée par de nouvelles régulations (elles-mêmes avalisées par les pouvoirs publics) apparaît en mesure de sauver durablement le football, de la crise comme de ses dérives.

Salary cap, limitation du nombre d’étrangers, redistribution, contraintes budgétaires, encadrement des transferts, etc., voilà qu’un autre football – plus raisonné, mieux administré et moins inégalitaire – devient non seulement possible, mais aussi souhaitable.

Un scénario très opposé n’est pas pour autant écarté, celui de la « stratégie du choc » : profitant de la gravité de la situation et de la sidération qu’elle provoque, les clubs les plus riches pourraient achever la sécession qu’ils poursuivent depuis longtemps.

Les conditions se prêtent à un tel coup de force et redonnent consistance à la création d’une ligue européenne privée. Pour sauver leur peau, assurer leur suprématie et éloigner le spectre d’une révolution partageuse, les membres de l’élite seront enclins à sauter le pas.

En essayant, ces derniers jours, de s’emparer de pouvoirs exceptionnels au sein de la Ligue du football professionnel, dans un « comité de pilotage » restreint, certains clubs français ont illustré ce genre de tentation.

Les autorités sportives et politiques ont le choix. Un programme de relance et de réformes impliquant de nouvelles règles et – enfin ! – une plus grande équité devant les compétitions. Ou une énième démission qui ne relancerait que la fuite en avant. Un plan d’urgence n’y suffira pas : il faut un New Deal pour le football.

Aleksander Ceferin a affirmé qu’il n’y a « pas de place pour l’égoïsme ». Il n’évoquait que l’acceptation par les joueurs de la baisse de leurs salaires. Mais cette motion devrait être généralisée et pérennisée.

Source: lemonde.fr

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