Édouard Philippe vu par son « pote de gauche », un portrait fidèle deux ans après

POLITIQUE – Matignon, c’est fini. Édouard Philippe, qui a présenté vendredi sa démission, sera resté 1145 jours à Matignon ce qui le situe au 8e rang en termes de longévité sous la Ve République, entre Pierre Mauroy et Jean-Pierre Raffarin.

S’il ne se démarque pas par sa longévité dans “l’enfer de Matignon”, une expression qu’il désapprouve, nul doute que l’ancien fils spirituel d’Alain Juppé aura autant marqué les lieux par sa personnalité de gentleman pince-rire que par les conditions rocambolesques dans lesquelles il y a été nommé. 

En 2018, pour l’anniversaire de sa nomination au poste de Premier ministre, nous avions donné la parole au réalisateur Laurent Cibien, ami de jeunesse d’Édouard Philippe. Depuis, une polémique sur les 80km/h, la crise des gilets jaunes, le coronavirus et le confinement sont passés par là. Mais ce portrait en creux n’a pas pris une ride (à défaut de quelques poils blancs sur le visage). Le voici.

“Édouard, mon pote de droite”

“Voici Laurent, un affreux gauchiste qui est aussi mon ami. Il tourne un documentaire sur moi depuis dix ans dans l’espoir que je devienne quelque chose”. Quand Édouard Philippe prononce ces mots, il n’est pas encore Premier ministre. Emmanuel Macron n’est même pas candidat à la présidence de la République et Alain Juppé est toujours le chouchou des sondages. Nous sommes en 2016, en pleine primaire de la droite: bombardé porte-parole de son mentor, Édouard Philippe présente à l’équipe de campagne de Juppé son “pote de gauche”, Laurent Cibien.

De gauche, mais pas tout à fait inconnu au bataillon des proches du député de droite: voilà une décennie que le réalisateur et grand reporter suit l’ascension politique de son copain d’enfance. Une expérience documentaire entamée quand l’actuel premier ministre était encore totalement absent des radars médiatiques et qui a déjà débouché sur un premier doc surprenant: “Édouard, mon pote de droite”, tome un d’une fresque au long cours sur le pouvoir dans la France contemporaine, centré sur la conquête de la mairie du Havre en 2014 par le jeune Édouard Philippe, alors encore glabre et dont rien ne permettait de prédire le singulier destin politique.

“Au début, je lui demandais surtout: ‘Comment est-ce possible d’être de droite?′ Une question que je trouve toujours valable aujourd’hui. Et puis j’ai vu la manière dont il construisait son parcours politique et c’est devenu un projet sur la fabrique du pouvoir”, raconte au HuffPost Laurent Cibien depuis les États-Unis.

“Il finira bien par se lasser de moi”, lui répond Édouard Philippe dans le second volet de cette série diffusée ce mardi 15 mai sur France3, à l’occasion du premier anniversaire de la nomination d’Édouard Philippe à Matignon. Centré cette fois-ci sur la campagne malheureuse d’Alain Juppé à la primaire de la droite, ce film en annonce un troisième, initialement baptisé “Aux manettes” [et dont on attend la date de sortie], puisque la caméra de Laurent Cibien n’a pas cessé de suivre Édouard Philippe après son arrivée surprise au gouvernement.

“Il n’y a pas d’Édouard secret parce qu’il est bien dans ses baskets”

Ce changement de décor n’a pas changé le projet ni les deux hommes qui le composent: “Je ne suis pas journaliste politique, je ne suis pas dans l’actu. Je travaille sur le temps long. Au Havre comme à Matignon, c’est pareil”, glisse le documentariste dont le regard sur son “pote de droite” n’a pas été bouleversé non plus par son parcours météorique.

Portrait plus que chronique électorale, ce “pote de droite” déroute autant par ses imitations de Chirac que par son franc-parler. Stratège, goguenard, volontiers blagueur, Édouard Philippe s’y dévoile moins par ses (rares) confessions que par ses agacements. Comme quand il s’irrite de se voir reprocher dans une réunion publique son diplôme d’énarque, lui le bon élève, petit-fils de docker qui a gravi un à un les échelons de la droite juppéiste avant de se mettre En Marche!.

“Ce que je vois, c’est quelqu’un d’assez centré. Il n’est pas double-face. Contrairement à ce qu’on me dit parfois, il ne montre pas une image construite. Je crois qu’il n’y a pas d’Édouard secret parce qu’il est plutôt bien dans ses baskets”, résume Laurent Cibien qui filme Édouard Philippe là où il se rend disponible: une voiture entre Paris et Le Havre, son bureau de l’Assemblée, une réunion publique, sa salle de boxe. Entre eux, un pacte de confiance et une amitié singulière, “avec une caméra au milieu”.

Sans complaisance, cet épisode II de “Édouard mon pote de droite” n’est ni particulièrement flatteur pour son sujet ni marqué par la fascination de la victoire. ” La défaite de Juppé, c’était presque mieux qu’une victoire en matière de dramaturgie”, assume Laurent Cibien.

Quand on lui demande si cela lui plairait de poursuivre son oeuvre jusqu’à l’Élysée, le réalisateur balaye l’hypothèse d’un revers de tasse à café: “Qu’Édouard gagne ou perde, cela m’est égal. Je n’ai pas misé sur un cheval, mais sur l’itinéraire d’un homme. Au fond, il aurait pu traverser un désert, cela m’aurait tout autant intéressé”.

Prophéties incomplètes

Si ce second volet du documentaire n’est pas politicien, la marche vers l’Élysée s’y dessine néanmoins à petits traits, en arrière-plan. Entre un coca et deux plateaux télé, le futur chef du gouvernement prophétiserait presque sans s’en rendre compte. “Choisir son patron ce n’est pas un acte neutre”, dit-il à propos du maire de Bordeaux, qui lui a mis le pied à l’étrier de l’UMP. Évidemment, chaque téléspectateur pensera à Macron. Car derrière les affres de la campagne d’Alain Juppé, partie sur les chapeaux de roues et percutée dans la dernière ligne droite par le rouleau compresseur Fillon, plane ici et là l’ombre de l’ascension du futur président de la République.

“Je l’aime bien Emmanuel, individuellement. Je suis à peu près d’accord sur tout avec lui. Mais je ne crois pas du tout à ses chances”, lâche crânement Édouard Philippe alors que François Hollande n’a pas encore renoncé à se représenter. Mais l’élu juppéiste n’écarte pas qu’un jour les libéraux pro-européens, de gauche comme de droite, puissent se retrouver pour gouverner le pays.

“Macron est moins libéral que moi. Mais je me dis qu’il n’est pas impossible qu’un jour, quand je ne sais pas, vous ayez une partie de la droite qui se dise ‘on va faire avec le Front national le même calcul que Mitterrand avec les communistes’; et puis de l’autre côté, chez ceux qui sont plutôt pro-européens, plutôt libéraux, il y a des correspondances assez fortes [qui se retrouvent] dans une partie du PS, une partie de la droite”.

Du macronisme avant l’heure et à l’envers. Une lecture anachronique dont s’amuse beaucoup Laurent Cibien lorsqu’il retient cette ultime séquence au montage. Affalé sur un canapé devant un écran de télé, Édouard Philippe se moque de Manuel Valls, alors chef du gouvernement de François Hollande: “Il est de plus en plus marqué Manolo: ça doit être dur d’être Premier ministre”.

Quatre ans après avoir prononcé ses mots, Édouard Philippe a pris de l’âge et des coups. Sa barbe a blanchi, mais son bilan à Matignon demeure flatteur, ne serait-ce qu’au regard de sa réélection triomphale au Havre ou de sa popularité dans l’opinion. Et il ne s’est jamais plaint de la difficulté d’avoir été Premier ministre.

À voir également sur Le HuffPost: À cause du remaniement, l’Assemblée obligée d’arrêter ses travaux en pleine séance

Autres articles
1 De 1 585

Source: huffingtonpost.fr

laissez un commentaire