Coronavirus: un report des JO de Tokyo? Pourquoi ça semble inévitable

JEUX OLYMPIQUES – La flamme olympique est arrivée vendredi 20 mars au Japon, et depuis, des dizaines de milliers d’habitants se sont déjà pressés pour la voir. Mais celle-ci atteindra-t-elle réellement le stade olympique de Tokyo, où le coup d’envoi des JO est censé être donné vendredi 24 juillet, dans seulement quatre mois?

Face à la pandémie actuelle de coronavirus dans le monde, qui a déjà contaminé plus de 320.000 personnes et en a tué plus de 14.000, les interrogations sur la tenue de l’événement sportif, pour l’heure maintenu, se font chaque jour un peu plus pressantes.

Jusqu’ici inflexible sur le maintien des JO à leur date prévue cet été, le Premier ministre japonais a admis ce lundi 23 mars qu’un report “pourrait devenir inévitable” face à la pandémie de coronavirus, à l’instar du CIO dimanche.

Le monde peut toujours compter sur le Japon pour accueillir les Jeux cet été, a déclaré Shinzo Abe devant le Parlement nippon, mais “si cela devenait difficile, en tenant compte en priorité des athlètes”, la décision d’un report “pourrait devenir inévitable”.

Il s’agit d’un tournant dans le discours officiel japonais, alors que les autorités locales poussaient jusqu’à présent pour organiser les Jeux comme initialement prévu.

Sebastian Coe, président de la Fédération internationale d’athlétisme, sport numéro un aux Jeux olympiques, a officiellement demandé au président du CIO un report, dans une lettre obtenue par l’AFP ce lundi.

Dimanche, le Comité international olympique (CIO) avait annoncé l’ouverture de discussions “avec tous les partenaires pour dresser un état des lieux du développement rapide de la situation sanitaire et de son impact sur les Jeux olympiques”. Ces discussions, qui comprendront le scénario d’un report, doivent être finalisées “dans les quatre prochaines semaines”, a précisé le CIO.

Voici ci-dessous plusieurs raisons qui pourraient pousser le CIO à annoncer dès à présent un report de l’événement.

 Plusieurs grands événements sportifs ont déjà été reportés

Alors que le CIO s’accroche à ses JO, trois monuments du printemps sportif ont été vaincus par le coronavirus en début de semaine, reportés à des dates ultérieures: l’Euro de footballRoland-Garros et Paris-Roubaix. La Confédération sud-américaine a aussi décidé de reporter d’un an la Copa America en Argentine et en Colombie.

Si l’Euro de football se tiendra désormais à l’été 2021, la question d’un report des JO reste plus délicate pour le CIO, la charte olympique prévoyant que l’événement doit avoir lieu l’année prévue sous peine d’annulation.

Malgré tout, la session du Comité olympique peut décider de les organiser en 2021. Ceci nécessite les 2/3 des voix de la centaine de membres du CIO qui pourraient voter à distance.

Le pouvoir d’annuler les JO revient formellement au CIO. Le contrat “ville-hôte” prévoit que le CIO peut retirer l’organisation des JO à la ville-hôte “si la sécurité des participants est sérieusement menacée”. 

Toute décision sera présentée “comme conjointe, mais le gouvernement national a la main”, estime Jean-Loup Chappelet, professeur à l’Institut de Hautes Études en Administration Publique (IDHEAP) de Lausanne et spécialiste du CIO.

 

• Des pays n’enverront pas leurs sportifs

Les comités olympique et paralympique du Canada ont franchi un pas en annonçant dimanche qu’ils n’enverraient pas leurs athlètes si les JO étaient maintenus cet été.

En France le ministre de la Santé, Olivier Véran, s’était aussi déclaré dimanche peu enclin à envoyer des sportifs au Japon dans quatre mois.

“Il est clair que les Jeux ne peuvent se tenir en juillet”, a estimé ce lundi le vice-président du Comité olympique australien Ian Chesterman, invitant les athlètes du pays à se préparer pour l’été 2021.

 

• Beaucoup de sportifs demandent le report

Le CIO a été fortement critiqué par de nombreux athlètes hostiles à l’idée de disputer des épreuves cet été. Plusieurs voix se sont ainsi élevées pour demander un report, dont des athlètes qui voient leur préparation perturbée ou qui s’inquiètent de ne plus pouvoir se qualifier.

“Le CIO nous demande de continuer à mettre en danger notre santé, celle de nos familles et des gens, juste pour s’entraîner chaque jour?”, a accusé la championne olympique 2016 du saut à la perche, la Grecque Katerina Stefanidi. “Qu’en est-il des sports collectifs, où les athlètes s’entraînent ensemble? Et de la natation? Et de la gymnastique, où sont touchés les mêmes objets?”, a-t-elle questionné.

“Je pense que l’insistance du CIO à maintenir sa ligne, avec tant de conviction, est insensible et irresponsable”, a asséné de son côté l’ancienne hockeyeuse canadienne Hayley Wickenheiser, quadruple médaillée d’or aux JO et elle-même membre de l’instance olympique. “Du point de vue des athlètes, je ne peux qu’essayer de compatir en imaginant l’anxiété et le déchirement qu’ils ressentent à l’heure actuelle”, a-t-elle ajouté.

Isabell Werth, sextuple championne olympique de dressage (équitation) allemande, a dénoncé à l’agence sportive SID, filiale de l’AFP, “la tactique dilatoire incompréhensible et injustifiable du CIO et des Japonais”.

“Alors que tous les sports cessent leurs activités et que les reports des grands événements se multiplient, le CIO évoque le maintien possible des JO! Je suis atterré par tant d’inconséquence”, a lui tweeté le président de la Fédération française de natation Gilles Sezionale.

Un nombre grandissant de fédérations sportives nationales ont aussi appelé ces derniers jours à un report de l’événement, emboîtant le pas aux critiques isolées de sportifs.

 

• La moitié des sportifs seulement sont pour le moment qualifiés

À l’heure actuelle, seuls 57% des quelque 11.000 sportifs qui doivent participer sont qualifiés pour la grand-messe olympique.

De nombreux tournois de qualification olympique (TQO) sont actuellement en pause ou ont été annulés, comme celui de gymnastique prévu à Tokyo les 4 et 5 avril.

Les reprogrammer peu de temps avant les Jeux ne laisserait que peu de temps de récupération aux sportifs concernés.

“J’espérais me qualifier au mois de mars, pour me reposer un peu en avril puis repartir à fond ensuite. Ça va être dur d’enchaîner dans un temps si court, surtout qu’on ne peut pas se préparer pour”, déplore ainsi la lutteuse Koumba Larroque sur 20minutes.fr.

 

• Les sportifs ne peuvent pas se préparer sérieusement en confinement

Rester en forme et motivé, ne pas tourner en rond et chasser les doutes… Confinés comme tous les Français, les sportifs tentent de préserver tant bien que mal leur préparation. Le CIO les a d’ailleurs encouragés à continuer l’entraînement.

“C’est difficile de faire un programme quand on ne sait pas pour quelle échéance. J’ai déjà du mal à trouver un sens quand je vois l’actu (…) Mais il faut continuer à m’entretenir”, confie Camille Lecointre, médaillée de bronze en voile à Rio-2016 et déjà qualifiée pour Tokyo-2020. Confinée chez elle, à Brest, avec son mari et leur fils, elle cherche à faire “le minimum”, en allant courir ou en travaillant sa condition physique à la salle de sport du pole nautique, “où je suis seule”, précise-t-elle.

Certains sont contraints de s’entraîner à la maison dans une pièce dédiée, comme le gymnaste Cyril Tommasone:

Qualifié pour ses premiers Jeux à 33 ans, le judoka Axel Clerget a lui loué le garage d’un voisin, collé à son domicile en région parisienne. “Je me suis créé ma petite salle de muscu. J’ai un rameur, 200 kg de poids pour faire mes séances, avec un banc de couché pour faire du tirage, et quelques haltères”, décrit-il, s’avouant “super chanceux” même si “c’est un peu rustique”.

L’athlète Elea-Mariama Diarra (400 m) a elle partagé une vidéo où on peut la voir effectuer des sprints au milieu d’une rue déserte d’un village:

Tous font avec les moyens du bord, une situation loin d’être idéale quand on parle de haute performance. 

“Pour un triathlète qui prépare les JO, rester dans un appartement avec un home trainer et un tapis roulant, ce n’est pas possible”, explique le directeur technique national du triathlon, Benjamin Maze, en imaginant “les solutions les plus responsables: aller dans des endroits éloignés du public, pour courir, rouler et bricoler avec les lignes d’eau disponibles”.

 

• Tous les sportifs ne sont pas logés à la même enseigne en matière de confinement

Certains sportifs pointent le fait que l’ensemble des concurrents n’est pas mis sur un même pied d’égalité dans leur préparation olympique, bafouant l’équité sportive, l’un des fondements de l’olympisme.

“Il y a des pays moins touchés que d’autres. Certains peuvent s’entraîner normalement pendant que nous, on ne peut même pas accéder à notre terrain d’entraînement”, s’émeut Pascal Martinot-Lagarde, champion d’Europe et médaillé de bronze mondial sur 110 m haies. 

“On perd du temps par rapport à certaines nations qui, elles, ne sont pas confinées. Certains pays sont à l’entraînement, et nous sommes désavantagés”, constate amèrement le gymnaste Samir Aït Saïd auprès du Monde.

“Il y a des sportifs qui sont confinés et galèrent pour s’entraîner de manière optimale. Mais le sport c’est de l’adaptation. Quand on est blessé, on ne s’entraîne pas de manière optimale mais ça ne nous empêche pas de rêver à un objectif et de mettre les bouchées doubles quand on est en mesure de travailler de nouveau”, a toutefois fait remarquer le biathlète Martin Fourcade, récent retraité.

 

• Des JO maintenus, avec moins de sportifs et des tribunes à moitié vide?

Si les Jeux étaient maintenus malgré tout, après une diminution très probable de l’intensité de la pandémie voire sa fin cet été, les organisateurs ne seraient toutefois pas à l’abri d’une désaffection d’une partie des sportifs qualifiés, peut-être pas encore prêts à se mélanger à des concurrents venus du monde entier.

“Il ne faudrait pas relancer la pandémie, avec toutes les délégations, et que ça reparte au Japon. Le monde entier est présent aux Jeux”, estime le volleyeur Jenia Grebennikov auprès du Monde.

Même problématique pour le public. Fin février, Thomas Bach avait annoncé que 4,5 millions de billets sur les 7,8 millions avaient été écoulés au Japon, et que 20 à 30% des billets étaient destinés au public international. Dans le contexte actuel, pas sûr désormais que tous les sésames trouvent preneurs.

 

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Source: huffingtonpost.fr

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