Marie Cau, première maire transgenre : « Mon mensonge était une prison »

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Elue maire de Tilloy-lez-Marchiennes dans le Nord en 2020, Marie Cau, 57 ans, est devenue la première femme transgenre à accéder à un tel mandat. Une double reconnaissance qu’elle savoure après un long combat pour s’assumer et s’aimer.

Si je n’avais brusquement compris, en lisant la phrase de saint Jean « la vérité t’affranchira », que je ne pouvais plus continuer à me mentir à moi-même et aux autres. Que mon mensonge était une prison, comme l’était ce corps d’homme dans lequel j’étais née alors que tout en moi était féminin. Il était urgent que je me libère en assumant enfin qui j’étais : une femme trans.

Une femme assignée homme comme on assigne à résidence ; une femme qui, pour survivre, avait anesthésié ses pulsions, ses émotions, ses sentiments ; une femme qui s’était longtemps détestée et n’avait eu d’autre choix que de jouer le rôle qu’on attendait d’un garçon, puis d’un homme : travailleur, mari, père de famille. Une femme qui, pendant les quarante premières années de son existence, a vécu l’enfer de la dualité et d’une confusion mentale impossible à exprimer, faute de mots et de connaissances. Je n’étais pas vraiment en vie.

Ce fut un long, un très long processus, dans lequel l’arrivée d’Internet a joué un rôle majeur. Avant, il était impossible d’avoir accès à la moindre information sur les trans. Ni les bibliothèques ni les librairies locales ne disposaient d’ouvrages sur le sujet. Nous étions seuls, avec notre souffrance, nos questions sans réponses.

Et puis un jour, en furetant sur le Web, je suis tombée sur le témoignage d’une personne trans. Ce fut une déflagration. Elle racontait sa vie et je reconnaissais la mienne ! Tout y était : les troubles et la perplexité, la culpabilité et la honte, le désespoir, l’asphyxie. Je n’étais donc pas seule ! Et il y avait un mot pour qualifier ce que j’étais : transgenre. J’ai fait des recherches et commencé peu à peu à comprendre, à admettre, à me projeter. Jusqu’à ce jour de septembre 2005, un mois pile avant mes 40 ans, où, pour la première fois de ma vie, j’ai expérimenté la liberté.

C’était à Paris. C’est bien pratique, Paris. C’est vaste, cosmopolite, on peut se fondre dans le décor à la différence de mon petit village du Nord. Je marchais près de la tour Eiffel, vêtue d’un pantalon slim noir, d’un petit Perfecto et de boots à hauts talons. En femme. Il faisait beau, des familles pique-niquaient sur la pelouse du Champ-de-Mars, des gens élégants me croisaient sans me prêter la moindre attention ni me scruter comme un animal de foire. Et c’était merveilleux. J’avais appris depuis l’enfance à marcher « planquée », à fuir les regards, à évaluer les risques d’agression, à demeurer en tension permanente. Tous les trans savent ce dont je parle. Mais rien de tout cela ce jour-là. Juste du bonheur. Je n’étais plus masquée et je me sentais libre, sortie de prison ! Je repense à ce moment comme au premier jour du reste de ma vie de femme.

Source: lemonde.fr

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