« Pourquoi certains meurent en trois jours et d’autres s’en sortent ? » : journal de bord d’un médecin de campagne victime du coronavirus

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Pour moi, tout a basculé le mardi 17 mars. Ce jour-là, je suis en visite dans l’un des deux Ehpad de Salins-les-Bains, et je découvre qu’aucun membre du personnel ne porte de masque. Je me dis qu’on va à la catastrophe. Dans l’impossibilité d’en trouver en pharmacie, je lance, le lendemain matin, un appel sur ma page Facebook, qui a la chance d’être relayée par la presse locale. Des artisans, des entreprises, des esthéticiennes, des agriculteurs se manifestent. En quelques jours, je récupère plus de 16 000 masques !

Avec ma femme, Claire, qui est infirmière scolaire, et des collègues, on passe des heures à les redistribuer dans les Ephad, aux pompiers, aux infirmiers libéraux, à des commerçants, à des gendarmes… Beaucoup de ces masques, qui datent du temps de la grippe A, sont périmés. Mais tant pis, cela nous donne au moins sept ou huit jours de répit.

La semaine précédente, j’avais eu un ami au téléphone, confrère à Mulhouse. Il m’avait alerté sur la gravité de la situation. J’avais prévenu les responsables des thermes de Salins qu’ils allaient devoir fermer. Ils ne voulaient pas me croire. Ils ont fermé le 14 mars.

A mon cabinet, la salle d’attente, où j’ai retiré toutes les revues et magazines [pour ne pas qu’ils circulent de main en main], se vide. Les patients hésitent à venir, par peur de la contamination. Paradoxalement, la « bobologie » a disparu. Comme les gens ne travaillent plus, la sédentarité et le confinement ont réduit les problèmes d’allergie, de transmission de microbes, d’accidents… Je vais avoir de moins en moins de consultations – d’habitude, je travaille douze heures par jour –, mais, en intensité émotionnelle, la période est très forte…

Dans notre canton, 6 800 habitants, s’est développée une grande confraternité. Sur Skype et WhatsApp, on se soutient les uns les autres. Le principal est de ne pas être seul, car le groupe est toujours plus expert que l’individu. Et puis, nous aussi on a peur. On a besoin de se remonter le moral car on se sent un peu abandonnés. Nous sommes flippés par le manque de masques.

« Le divan des médecins », un groupe fermé sur Facebook, est hyperutile. Plein de questions surgissent : que fait-on de nos gants ? Comment procéder avec les paiements par chèque pour ne pas les toucher ? Je travaille en blouse blanche, avec un masque, très pénible à porter, et j’examine le moins possible. Je ne prends plus la tension et je me lave les mains tout le temps.

Source: lemonde.fr

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