Les derniers jours de Jean-Luc Godard

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« Roland ? C’est Anne-Marie. »

En cette fin d’été, la voix d’Anne-Marie Miéville, la femme de Jean-Luc Godard, résonne au bout d’un téléphone fixe.

« J’espère que c’est pour une bonne et pas une mauvaise nouvelle, s’inquiète, de l’autre côté du fil, Roland Tolmatchoff.

— Un peu les deux, hésite Anne-Marie Miéville. Je te passe Jean-Luc. »

Quand on choisit de préparer sa mort, on a le temps d’ordonner la valse de ses adieux. Si Godard a téléphoné à Roland Tolmatchoff, c’est peut-être parce que cet ancien comédien, assistant réalisateur, vendeur de yoyos, chineur et libraire suisse de 92 ans était son plus vieux copain. Son plus vieux copain vivant, en tout cas, quelques mois de plus que Godard, la même collection de souvenirs dans le siècle dernier : ils avaient 20 ans en 1950. Et voilà que résonne dans le combiné du vieil homme cette voix unique, à la fois tremblée et grave à force de cigares fumés, ralentie par un léger cheveu sur la langue et un soupçon d’accent suisse.

« Roland, je t’embrasse, je m’en vais. »

Quelques semaines ont passé depuis la mort de Jean-Luc Godard, le matin du 13 septembre. Un « suicide assisté », autorisé et encadré par la législation helvétique. Depuis sa maison de retraite genevoise, au terminus de la ligne de bus 7 qui mène au lieu-dit Bout du monde, Roland Tolmatchoff remonte le fil de sa vie et de son amitié avec le cinéaste de la Nouvelle Vague. Le pensionnaire suisse est né à Kharkov, dans l’une des républiques soviétiques d’alors, aujourd’hui en Ukraine.

Il avait 8 ans quand sa mère, pour fuir les bolcheviques, l’a pris sous le bras avec ses frères et sœurs en 1938 et s’est exilée en Suisse. « Je crois que mon père, un pur Ukrainien opposé aux purges de Staline, écrivain diplomate qui, par francophilie, m’a prénommé du nom de l’écrivain Romain Rolland, a été dévoré par des loups après s’être échappé d’un bagne des îles Solovki », dans la mer Blanche, raconte Tolmatchoff. Avec sa longue barbe neige-argent et ses cheveux effilochés, on croirait Gandalf ou Saroumane, les magiciens du Seigneur des anneaux, de Tolkien.

Durant les années 1950, le Parador, un tea-room de la place de Rive à Genève, est le repaire d’une petite bande qui ne vit que pour le cinéma. Un jeune dandy mi-suisse, mi-francais aux lunettes fumées en est. En terrasse, Tolmatchoff, autodidacte des salles obscures et fabuleux collectionneur de livres sur le 7e art, impressionne Jean-Luc Godard par son culot avec les filles et son « archivisme mental » : « Je récitais par cœur les génériques des moindres petits films, les noms des assistants, des éclairagistes et des décorateurs. »

Source: lemonde.fr

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