Jean-Philippe Viret, l' »Ivresse » d’un trio jazz en parfaite osmose

En 2019, le contrebassiste Jean-Philippe Viret, compositeur à l’écriture très personnelle, figure discrète, élégante et attachante de la scène jazz française, a célébré plusieurs anniversaires au chiffre rond… Ses 60 ans, ses 40 ans de carrière, les 20 ans de son trio et un 10e album en leader, Ivresse, sorti sur le label Mélisse.

Ivresse, dixième opus lancé en son nom, est le huitième enregistré par Jean-Philippe Viret à la tête de son trio cofondé avec le pianiste Édouard Ferlet et dans lequel Fabrice Moreau officie comme batteur depuis 2008. Dans la formule piano-basse-batterie, architecture phare du jazz, Jean-Philippe Viret a imposé sa griffe particulière, intimiste, nourrie par une synergie de tout instant avec ses partenaires, eux-mêmes étant de formidables créateurs dans leurs propres projets.

Un album enregistré en live

Sorti le 13 septembre 2019, soit trois jours avant le 60e anniversaire du contrebassiste (Viret est né le 16 septembre 1959 à Saint-Quentin, dans l’Aisne), Ivresse avait été enregistré en live à l’occasion de deux belles soirées de musique à Montreuil, aux portes de Paris, en février 2019.

Dans sa vidéo de présentation d’ Ivresse, Jean-Philippe Viret défend les vertus incomparables de la musique en live, preuve à l’appui

Présentation de l’album « Ivresse » par Jean-Philippe Viret (contrebasse), Édouard Ferlet (piano), Fabrice Moreau (batterie) – 2019

Franceinfo Culture : En tant qu’artiste, comment vivez-vous la crise du coronavirus et ses conséquences directes sur le spectacle vivant, avec tous ces concerts annulés dont celui que vous deviez donner samedi ?
Jean-Philippe Viret : 
Que dire… Vous connaissez cette blague : « La différence entre les musiciens de rock et les musiciens de jazz, c’est que les premiers jouent trois accords devant mille personnes, tandis que les seconds jouent mille accords devant trois personnes… » Là, cela peut peut-être jouer en notre faveur ! [il rit] Pour nous, ça ne change pas grand-chose pour l’instant dans le sens où on ne joue pas sur des grandes scènes, devant de vastes audiences… Alors, « the show must go on », à condition d’avoir les autorisations adéquates. On verra comment les choses évolueront.

Ivresse, un album qui marque plusieurs anniversaires pour vous, a-t-il été écrit avec un esprit et une direction spécifiques ?
Oui, tout à fait. L’idée, c’était de travailler une écriture thématique épurée, avec peut-être un peu moins de complexité harmonique ou rythmique par rapport à nos précédents albums, et d’avoir le plaisir de jouer ensemble sur des formes plus simples, ce qui nous permettait d’avoir plus de liberté pour l’improvisation.

Nous formons vraiment un trio dans un sens « fédérateur » : on est tous les trois à part égale dans la musique, dans l’interaction, dans la proposition. Et c’est très beau comme ça. En même temps, dans mon parcours musical, il y a une part d’écriture qui donne une couleur particulière, une épure, une veine mélodique, et on a eu envie d’aller dans cette direction pour célébrer cette histoire commune de vingt ans.

Pourquoi le titre « Ivresse » ?
Pour plein de raisons ! On a eu envie que ce soit pétillant, joyeux, libre, avec quelque chose de festif dans la musique. D’autre part, il y a un petit jeu de mots en filigrane. On pourrait entendre « Est-ce Viret ? », mon nom n’est pas très loin… On peut faire des contrepèteries avec mon nom complet. « J’amplifie l’ivraie » ! Amplifier la mauvaise herbe, est-ce une bonne chose ? Pourquoi pas, soyons rebelles !

Il y avait enfin quelque chose qui m’intéressait fondamentalement avec ce titre. Au fil du temps, je me suis aperçu que les titres que nous donnions aux albums du trio formaient un cadavre exquis sous la forme d’une phrase… J’avais besoin d’un titre qui puisse continuer cette phrase. Si je récapitule tout, ça donne : Considérations : Étant donné… L’Indicible… Autrement dit… Le temps qu’il faut… Pour… L’ineffable… Ivresse. Pour moi, c’est un plaisir un peu personnel, un peu caché…

« Entre deux rêves » (Viret), extrait de l’album « Ivresse » (Mélisse / Outhere)

J’ai envie de demander au musicien que vous êtes : qu’est-ce qui vous donne le plus d’ivresse ? L’inspiration qui surgit au moment d’écrire ? La scène ? L’improvisation ? L’interaction en groupe qui frôle parfois l’irrationnel ?
Votre question donne toutes les réponses ! C’est vraiment tout ça. Le processus commence à la maison, dans l’écriture. J’écris peu sur commande. J’écris par rapport à des émotions musicales, à un instant musical, un instant T où quelque chose me parle, me touche, rentre dans mon oreille. Un élément provoque une émotion que j’ai envie de partager. Ça débute là, et ensuite, tout le plaisir consiste à développer, retrouver cette émotion, la porter, l’amener sur scène, la partager avec les autres musiciens, et que cela se transforme en plaisir de jeu et arrive dans les oreilles de l’auditeur.

À ce sujet, Ivresse est un album enregistré en concert…
Oui, et j’étais très content d’avoir pu faire un disque live avec ce trio. C’est une belle manière de montrer ce qu’il se passe quand on est en concert, c’était un instant T. Ça reflète bien notre attitude scénique.

Plus de vingt ans après sa création, quel regard portez-vous sur votre trio, en termes de son, de créativité ?
Je me dis que c’est génial… On a joué samedi dernier [ndlr : 7 mars] à Eymet, en Dordogne, dans un très bel endroit. On a passé une soirée fantastique. J’avais l’impression qu’on allait sur scène avec la sérénité et la confiance de musiciens qui ont l’habitude de jouer ensemble, et en même temps, comme si c’était la première fois. Énormément d’enthousiasme, d’énergie, pas la moindre once de lassitude… On se surprend, la musique nous surprend, et plus on a la confiance et le plaisir d’être avec l’autre, plus cela nous amène sur des territoires inexplorés. Tout peut arriver, ce qui crée forcément des moments d’étonnement, de jubilation, et le public le ressent obligatoirement. Tant que je vis les choses de cette manière, il n’y a aucune raison pour que ça s’arrête.

Vous avez fêté vos soixante ans, avec une longue carrière derrière vous… Que ressentez-vous en y pensant ?
J’ai envie de dire que c’est agréable de vieillir ! C’est agréable de vieillir quand on a la chance de continuer de faire ce qu’on aime, quand on n’a pas envie de s’arrêter et qu’on a l’énergie pour continuer à proposer de la musique, former des groupes… J’ai d’autres projets, je continue de jouer avec mon quatuor à cordes, avec mes autres formations… Je commence même à jouer avec mes enfants. La vie est pleine et je n’ai pas à m’en plaindre.

Jean-Philippe Viret en concert
ANNULÉS : Samedi 14 mars 2020 à Paris, à la Maison de la Radio, studio 104, 20H30 (le trio Viret partageait l’affiche avec le groupe new-yorkais AlasNoAxis de Jim Black privé de voyage suite aux restrictions annoncées par Donald Trump) et
 Mardi 17 mars 2020 à Paris, au Sunside, 21H30
> L’agenda-concert de Jean-Philippe Viret, en leader et aux côtés d’autres musiciens comme le violoniste Mathias Lévy

Source: francetvinfo.fr
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