Ce que le coronavirus, les attentats du 11 septembre et la crise de 2008 ont en commun

“Si nous sommes en train d’assister à la fin de quelque chose, ce quelque chose est l’idée que l’on puisse se contenter de traiter le monde comme un immense marché”; “la fausse promesse du néolibéralisme” selon laquelle “seuls des marchés mondialisés, libérés de la réglementation et de la bureaucratie, peuvent remédier aux grands problèmes de la planète”; “La fin du triomphe de l’économie et de l’idée selon laquelle la politique n’était pas importante et que le gouvernement n’avait pas d’importance”; “l’ère de la mondialisation est achevée”.

Ces différentes citations semblent bien résumer une partie des débats qui ont émergé dans le sillage de l’actuelle épidémie de coronavirus. Et pourtant, elles sont extraites de tribunes ou d’entretiens publiés juste après les attentats du 11 septembre 2001, respectivement par Anthony Giddens, Ulrich Beck (Financial Times, 6 novembre 2001), Fareed Zakaria et John Gray.

On pourrait effectuer le même type d’exercice à propos de la crise des subprimes et de la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008. Rappelons-nous à ce propos, par exemple, le discours de Nicolas Sarkozy à Toulon ou ceux de Barack Obama durant sa campagne électorale ou lors de son investiture.

Ceci ne veut pas dire que ces discours n’étaient pas sincères ou bien qu’ils étaient erronés. Cela signifie surtout que les visions qui peuvent être dominantes à un moment donné tendent à diverger en fonction de la situation vécue.

On l’a bien vu au début du confinement, collectivement et individuellement, nous avons eu tendance à avoir un réflexe de nature survivaliste. Celui-ci se traduit par la volonté quelque peu irrationnelle d’accumuler un maximum de produits de base considérés comme autant de valeurs-refuge face à la catastrophe qui s’annonce: produits alimentaires, notamment ceux qui sont peu périssables (pâtes, riz, conserves, etc.), produits d’hygiène, médicaments, essence, argent liquide, voire armes dans certains cas extrêmes. Une autre caractéristique d’un tel réflexe consiste à trouver un refuge quelque part, notamment à la campagne. Tout ceci se produit selon une logique de survie de nature individualiste dans un contexte hystérique de crainte d’un effondrement tel qu’il est défini, par exemple, par Yves Cochet: “processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis (à un coût raisonnable) à une majorité de la population par des services encadrés par la loi”. Ce contexte paraît aussi particulièrement propice à la diffusion rapide de rumeurs et de théories complotistes et à une défiance extrême des uns vis-à-vis des autres. Ces situations sont fort heureusement très rares.

On se situe actuellement dans un autre cas de figure, celui de la situation de crise où là aussi, collectivement, on est en quête de valeurs-refuge en aspirant à un retour de l’État régalien, d’une intervention de l’État dans l’économie, de l’État-providence, de la solidarité nationale, de la nation et de tout ce qui est censé nous unir (par exemple en France, les valeurs républicaines), ou encore des frontières. Parallèlement, on tend souvent à observer une forme d’aversion au tout-marché et, plus largement, à tout ce qui est perçu comme une source de risque, d’insécurité et de division. En clair, en période de crise, on est plutôt enclins à être étatistes, keynésiens, souverainistes et patriotes. C’est le type de discours que l’on a entendu après les attentats du 11 septembre, la crise de 2008 ou, en France, après l’attentat de Charlie Hebdo, avec le fameux esprit du 11 janvier.

C’est le discours que l’on entend très souvent ces temps-ci. Le philosophe Marcel Gauchet considérait ainsi dans un entretien accordé au Figaro le 25 mars 2020 à propos de la crise actuelle que “La leçon principale est la priorité qui doit être donnée à la cohésion collective, telle qu’elle est garantie par la dimension politique, par rapport au tout-économique. Arrêtons une bonne fois avec les âneries sur le postnational. Les marchés ne font pas le travail. Leçon seconde qui découle de la première: la qualité de la vie dépend plus du niveau des équipements collectifs que des revenus individuels. Le système de santé et le système d’éducation sont ce que nous avons ensemble de plus précieux. C’est à eux que doit aller la priorité”. Emmanuel Macron ne disait pas autre chose dans son adresse aux Français le 12 mars dernier: “Mes chers compatriotes, il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties. Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché”. Il s’agit, en effet, de périodes où les cartes semblent être rebattues et où chacun y va de son cahier de doléances et exprime son espoir d’un monde meilleur.

Néanmoins, on voit également qu’une fois la situation revenue à la “normale”, ces beaux discours sont la plupart du temps rangés dans les tiroirs un peu à l’instar de nos résolutions du début d’année que l’on va tenir seulement une ou deux semaines. Et cette situation “normale” tend généralement à se caractériser par une prédominance du libéralisme économique, de l’esprit de compétition et de performance, du consumérisme, du matérialisme, mais aussi de l’individualisme, voire du narcissisme, et des différentes formes de communautarisme, ou encore de la défiance, de la fragmentation et de la polarisation de la société. En clair, l’intérêt individuel tend à prévaloir sur l’intérêt collectif et l’argent sur les autres valeurs.

Allons-nous connaître la même évolution une fois que la vie “normale” sera revenue en oubliant toutes les bonnes résolutions qui avaient été faites autour du mot d’ordre récemment mis en avant par des organisations de la société civile dans une tribune: “Plus jamais ça!”?

À ce stade, il est bien évidemment très difficile, et même hasardeux, de le savoir. Trois éléments doivent néanmoins être pris en considération. Le premier réside dans le fait que la crise que nous traversons est à la fois majeure et multidimensionnelle. Il s’agit d’une crise sanitaire, économique, peut-être démocratique –c’est assez net dans un pays comme la Hongrie– et qui pourrait même se traduire par une crise alimentaire. L’impact de ces crises dépendra aussi en grande partie de leur durée et de leur intensité. Enfin, ces crises peuvent entrer en résonance avec une autre crise majeure qui est celle du climat.

Quoi qu’il en soit, il semble bien que l’on soit désormais dans une situation très spécifique où l’on sent bien que le scénario du retour à la normale, et donc de la continuité, n’apparaît plus ni acceptable par une partie notable de la société, ni soutenable.

 

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Source: huffingtonpost.fr

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