Violences sexuelles : Non, l’aide juridictionnelle n’est pas automatique pour les victimes qui portent plainte

A l'appel du collectif feministe NousToutes, plusieurs milliers de personnes ont manifeste a Paris entre la Place de la Republique et Nation via Bastille contre les Violences Sexistes et Sexuelles (VSS). Paris, le 19/11/2022.
A l’appel du collectif feministe NousToutes, plusieurs milliers de personnes ont manifeste a Paris entre la Place de la Republique et Nation via Bastille contre les Violences Sexistes et Sexuelles (VSS). Paris, le 19/11/2022. — Chang Martin/SIPA
  • Le 25 novembre dernier, la Fondation des femmes a publié un rapport mettant en lumière les difficultés rencontrées par les victimes de violences sexuelles. Après une plainte, le coût serait de presque 10.000 euros pour la suite de la procédure, selon l’organisation.
  • Mais d’après plusieurs internautes et avocats, ce chiffre serait gonflé. L’aide juridictionnelle permettrait aux victimes de ne pas payer tous ces coûts.
  • Est-ce vraiment le cas ? 20 Minutes a demandé à deux avocates.

C’est la triple peine. Peu entendues pour leurs plaintes au commissariat, les victimes de violences sexuelles devront également être prêtes à payer pour poursuivre leurs agresseurs jusqu’à l’audience, selon un rapport publié par la Fondation des femmes le 25 novembre dernier, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Le rapport met en lumière les obstacles rencontrés par une victime de viol ou d’agression sexuelle, qu’il soit financier ou psychologique.

Selon les deux autrices du rapport, Lucile Peytavin et Lucile Quillet, le coût d’une procédure judiciaire pour viol est estimé à 10.657 euros. Mais après la publication du rapport sur les réseaux sociaux, des internautes ainsi que des avocats sont montés au créneau. Selon eux, le coût très élevé estimé par le rapport ne serait pas un problème puisque l’aide juridictionnelle serait de droit pour les victimes de crime. Qu’en est-il vraiment ? 20 Minutes a demandé à deux avocates, ainsi qu’à la coautrice du rapport Lucile Quillet.

FAKE OFF

Au moment de commencer ce rapport, Lucile Quillet et sa coautrice Lucile Peytavin se sont posé une question : « Lorsqu’on dépose plainte, est-ce qu’on obtient justice ou pas ? Et est-ce que ce sont des coûts supplémentaires qui s’ajoutent à la violence déjà connue ? ». Les plaintes n’aboutissent que dans une stricte minorité à une sanction et cela coûterait cher à la victime, 10.657 euros en moyenne, selon le rapport de la Fondation des femmes. Mais très peu de données officielles existent pour estimer ce coût, explique Lucile Quillet qui a donc utilisé les ressources de plusieurs ministères, ainsi que celles des acteurs du terrain. L’idée ici n’était pas de décourager les victimes, mais de les informer des obstacles à franchir après une plainte.

Dans son rapport, la Fondation des femmes explique bien qu’une aide juridictionnelle est possible. Elle est définie comme une « prise en charge par l’Etat des frais liés à une procédure judiciaire pour les auteurs comme pour les victimes ». Mais comme le confirme Carine Durrieu-Diebolt, avocate au barreau de Paris, spécialisée en violences sexuelles, « ces aides n’interviennent qu’une fois le tribunal saisi. Les victimes ne peuvent pas en bénéficier au moment de la plainte et de l’enquête, la première partie est donc au frais des victimes ». C’est un des handicaps signalés par la Fondation des femmes.

Une aide de droit pour les viols seulement

Mais le problème va plus loin, selon le rapport. Si l’aide juridictionnel est de droit pour les victimes de viol, car il est considéré comme un crime, on proposera le plus souvent aux plaignantes de requalifier le viol en agression sexuelle [qui est un délit]. « Les victimes acceptent la plupart du temps, en partie pour gagner du temps et s’épargner des coûts financiers, sans toujours avoir conscience que cette requalification réduira potentiellement leur accès à l’aide juridictionnelle et le délai de prescription ». Dans ces cas-là, l’aide juridictionnelle sera en effet évalué selon le revenu de la plaignante. « Si vous êtes victime d’agression sexuelle et que vous avez des revenus élevés, vous n’avez pas le droit à l’aide juridictionnelle », indique Carine Durrieu-Diebolt.

Dans le rapport, les autrices prennent également un cas intéressant : celui de Julie, trentenaire parisienne qui gagne 1.450 euros net par mois. En plus des coûts pour les expertises médicales et l’intervention d’un huissier, Julie porte plainte et se constitue partie civile. Elle fait un appel à un avocat, hors AJ, « pour s’assurer une bonne défense ». Ici, nous faisons face à une nouvelle limite pointée du doigt par les autrices du rapport : les avocats ont-ils envie de s’emparer d’un dossier qui peut durer jusqu’à dix ans et qui leur rapporte peu ?

« L’aide juridictionnelle ne nous fait pas vivre »

« Pour nous les avocats, c’est sûr que l’aide juridictionnelle ne nous fait pas vivre. C’est mieux que rien, mais c’est presque du pro-bono effectivement », affirme Marion Ménage, avocate pénaliste au barreau de Pontoise. Avant d’ajouter : « Aujourd’hui, la question des violences sexuelles mobilise beaucoup d’avocats, nous sommes beaucoup à être engagés sur la question. Une femme qui vient nous voir pour ces dossiers et qui est dans une situation compliquée, nous prenons le dossier. Nous trouvons toujours un moyen de s’arranger pour la représenter, sinon nous ne ferions pas ce métier ».

Le propos est plus nuancé du côté de Carine Durrieu-Diebolt, qui décrit davantage l’aide juridictionnelle comme une « compensation financière », plutôt « qu’une véritable rémunération ». « Certains avocats refusent l’aide juridictionnelle pour des raisons financières. Un cabinet d’avocat ne peut pas fonctionner uniquement avec l’aide juridictionnelle », explique l’avocate qui est en faveur d’une revalorisation de l’aide juridictionnelle ainsi que sa prise en compte dès la plainte. Un avis partagé par le rapport de la Fondation des femmes qui estime qu’il faudrait également « accorder la même aide juridictionnelle aux parties civiles qu’aux prévenus ».

D’autres solutions ?

Pour les deux avocates interrogées par 20 Minutes, quand bien même la victime n’est pas éligible à l’aide juridictionnelle, il existerait tout un panel de solutions pour la remplacer. « La victime peut solliciter son assurance, ça peut permettre une prise en charge partielle », conseille Marion Ménage. L’autre solution, selon Carine Durrieu-Diebolt, serait de convenir au début d’un honoraire fixe « relativement faible » entre la victime et l’avocat. Puis, plus tard, de fixer un honoraire de résultat. « Si la victime gagne, elle verse un pourcentage des dommages et intérêts à l’avocat. C’est un système pratiqué assez fréquemment ».

Toutefois, le nombre de condamnations reste encore minime aujourd’hui. « Seuls 8 % des auteurs de violences sexuelles font l’objet d’une condamnation et on estime que moins de 1 % des auteurs de viols sont condamnés », rapporte la Fondation des femmes.

Source: 20minutes.fr
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