Projet Pegasus : au Salvador, les téléphones d’au moins 35 journalistes espionnés

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Les téléphones d’au moins 35 journalistes du Salvador travaillant pour six médias différents ont été espionnés par le logiciel Pegasus, révèle un nouveau rapport de l’ONG canadienne Citizen Lab, qui a analysé les téléphones de ces journalistes.

Parmi les victimes se trouvent notamment le rédacteur en chef et des journalistes d’investigation d’El Faro, un média indépendant. En 2020, El Faro avait révélé l’existence d’un accord entre le gouvernement et les gangs criminels, en particulier la très violente MS13 – ce que Nayib Bukele, le président, nie farouchement.

Au total, les appareils de vingt-deux journalistes d’El Faro ont été piratés, pour certains à de multiples reprises jusqu’au mois de novembre 2021, montre le rapport de Citizen Lab. Oscar Martinez, le rédacteur en chef, a vu son téléphone être infecté à quarante-deux reprises. « C’était un effort prolongé, obsessionnel, pour cibler notre rédaction avec Pegasus », a déclaré M. Martínez, interrogé par la plate-forme Forbidden Stories. « Tous les services du journal ont été visés, les services administratifs, la rédaction, la direction, le conseil d’administration, l’équipe commerciale… »

Après les révélations du Monde et de seize autres rédactions coordonnées par Forbidden Stories, durant l’été 2021, sur les multiples dévoiements de Pegasus pour espionner avocats, journalistes ou élus, Apple avait procédé à des analyses pour déterminer comment les utilisateurs de ses iPhone avaient pu être ciblés. En novembre 2021, l’entreprise américaine avait envoyé des notifications sur les iPhone qui avaient vraisemblablement été piratés ; plusieurs dizaines se trouvaient au Salvador.

Pegasus permet de prendre le contrôle quasi total d’un téléphone. Le logiciel est conçu pour aspirer tous les messages du mobile, y compris ceux échangés au travers de messageries sécurisées, comme Signal, qui était utilisée par les journalistes d’El Faro. Il peut aussi collecter les informations de géolocalisation de l’appareil, activer le micro ou la caméra, et intercepter des communications en direct.

Pour les médias visés, cette surveillance intensive ne peut venir que du gouvernement salvadorien. Nayib Bukele, le jeune président du pays depuis 2019, ne s’est pas uniquement singularisé en faisant du Salvador le premier pays au monde à adopter la cryptomonnaie bitcoin comme monnaie officielle : sous sa présidence, le pays a connu une série d’attaques contre l’Etat de droit.

« Si les preuves permettant de relier une infection à un client de Pegasus sont la plupart du temps indisponibles, nous avons pu identifier un client dont l’activité est presque exclusivement liée au Salvador depuis au moins novembre 2019 », écrit Citizen Lab dans son rapport. « Nous avons pu relier ce client à une tentative d’infection visant El Faro. »

Le gouvernement salvadorien a démenti, dans un courrier envoyé à l’agence de presse Reuters, être client du puissant logiciel espion vendu par la société NSO Group. « Le gouvernement du Salvador n’a aucun rapport avec Pegasus et n’a jamais été client de NSO Group », affirme ainsi le texte, qui donne deux étranges arguments à l’appui de ses dénégations : d’abord, le fait que le pays n’aurait « pas les moyens » d’acheter une licence du logiciel, mais aussi le fait que son propre gouvernement a été touché, puisque le ministre de la justice aurait également reçu une notification d’Apple l’informant qu’il avait pu être ciblé par Pegasus. Un argument peu probant même s’il est avéré : la justice fait partie des institutions que le président Bukele cherche le plus à contrôler. Sous sa présidence, une vaste purge a eu lieu au sein de l’institution judiciaire, avec la mise à la retraite d’office d’un tiers des magistrats.

De son côté, NSO Group a affirmé à Forbidden Stories que « l’utilisation [de Pegasus] pour cibler des dissidents, des militants ou des journalistes est une violation grave de la technologie ». Selon une source au sein de l’entreprise, le Salvador n’a pas, au début de 2022, de contrat « actif » avec NSO Group, suggérant que l’entreprise israélienne a pu couper l’accès du gouvernement salvadorien à son logiciel espion depuis la fin de 2021.

Au total, au moins 500 personnes ont été visées par Pegasus dans le pays, selon les informations du journal Diario de Hoy. Sur la liste figuraient, outre les journalistes, des hommes et femmes politiques de l’opposition, et même, selon le quotidien, un employé de l’ambassade américaine dans le pays.

Source: lemonde.fr

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