Pollution, récession ou menace… Quelles sont les conséquences du sabotage des gazoducs Nord Stream ?

Vue prise depuis un intercepteur danois F-16 de la fuite de gaz Nord Stream 2 juste au sud de Dueodde, au Danemark, le mardi 27 septembre 2022.
Vue prise depuis un intercepteur danois F-16 de la fuite de gaz Nord Stream 2 juste au sud de Dueodde, au Danemark, le mardi 27 septembre 2022. — Danish Defence/UPI//SIPA
  • Les gazoducs reliant la Russie à l’Allemagne sous la mer Baltique ont été touchés par des fuites spectaculaires précédées d’explosions sous-marines.
  • De nombreux acteurs internationaux, à commencer par l’Ukraine, accusent Moscou qui nie toutefois toute implication, sur fond de craintes d’une crise énergétique sans précédent dans les mois à venir.
  • 20 Minutes revient pour vous sur les conséquences de ce sabotage et sa portée symbolique, entre émissions de gaz à effet de serre, récession à venir et messages cachés.

Et ça fait boum, boum, boum… Des explosions sous-marines ont provoqué trois spectaculaires fuites de gaz dans les gazoducs Nord Stream 1 et 2. Ces convoyeurs d’énergie qui relient la Russie à l’Allemagne font l’objet d’un bras de fer crucial depuis le début de l’invasion en Ukraine. D’immenses bouillonnements – jusqu’à un kilomètre de diamètre – sont visibles au large de l’île danoise de Bornholm. Mais quelles conséquences auront ces fuites ? L’économie européenne en sera-t-elle ébranlée ? L’environnement définitivement marqué ? 20 Minutesse penche pour vous sur les implications de ces saisissantes fuites de gaz dans les bras de la mer Baltique.

« C’est assez catastrophique pour le climat »

Nord Stream 2 a subi une forte chute de pression lundi, suivi quelques heures plus tard de Nord Stream 1, dont il suit le tracé sous la Baltique. D’après Copenhague, les fuites devraient durer « au moins une semaine », jusqu’à ce que tout le gaz soit sorti des deux ouvrages. Alors que le gaz se déverse au cœur de la mer, la question des répercussions sur l’environnement est cruciale. Pour les mesurer, il faut d’abord « estimer la quantité de gaz qu’il restait dans les gazoducs, ce qui est difficile », souligne François Gemenne, spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement, qui ajoute toutefois que « les images montrent qu’il restait beaucoup de gaz ».

Sur la faune et la flore environnante, les effets devraient rester limités. Mais « c’est assez catastrophique pour le climat », affirme le directeur de l’Observatoire Hugo dédié aux migrations environnementales à l’Université de Liège, rappelant que « le méthane est un gaz toxique pour l’environnement vingt fois plus puissant que le dioxyde de carbone ». Or, ces gros tuyaux plongés dans la mer Baltique renferment du gaz naturel, à 90 % composé de méthane, donc ces rejets vont participer au réchauffement de notre planète. Nord Stream 2, le gazoduc sous-marin qui devait relier l’Allemagne à la Russie, n’a jamais été mis en fonctionnement à cause de la guerre en Ukraine. « A priori, Nord Stream 2 a plutôt des fuites d’azote, ce qui est moins dangereux pour le climat que le méthane mais on ne connaît pas les conséquences sur l’océan », déclare François Gemenne.

L’hiver qui vient sera « difficile »

Si on zoome sur la planète bleue, ces spectaculaires fuites auront aussi des répercussions à l’échelle de l’Union européenne. L’Europe peine déjà à compenser les baisses d’apport en gaz depuis la Russie. Avant l’invasion, Moscou fournissait 45 % des importations de gaz de l’UE. Avant ces explosions sous-marines, « les livraisons de gaz russe continuaient même si elles étaient diminuées et de l’ordre de 5 à 10 % », rappelle François Gemenne. La coupure intégrale imposée par ces fuites massives était toutefois attendue. « Ce n’est pas un coup dur comme ça aurait pu l’être il y a un an, aujourd’hui les livraisons sont très faibles et l’UE sait que la Russie n’est plus un fournisseur de gaz fiable », décrypte Agathe Demarais, directrice des prévisions mondiales de l’Economist Intelligence Unit.

Toutefois, elle admet que l’hiver qui vient sera « difficile ». Même si les réserves de gaz sont bien remplies en France, le gouvernement le répète : il faudra faire des économies d’énergie et des coupures de courant pourraient survenir. D’autant que pour notre parc nucléaire, « ça tombe très mal », souligne Agathe Demarais, autrice de Backfire, sur les effets secondaires des sanctions américaines. Quelque 25 réacteurs sur 56 sont indisponibles en raison d’opérations de maintenance ou de problèmes de corrosion. Pour compenser le manque de gaz, qui sert aussi à créer de l’électricité en temps normal, EDF a promis le redémarrage graduel des centrales nucléaires indisponibles d’ici à février. De nombreux pays européens se tournent aussi vers le charbon, malgré son empreinte carbone désastreuse. Une situation que les fuites de gaz sous-marines ne risquent pas d’arranger.

La récession en marche

Sur le front de l’énergie, l’Europe devrait tenir le choc. Economiquement, en revanche, elle est à l’aube d’une récession. Les prochaines années s’annoncent particulièrement brutales pour l’Union européenne qui récupère à peine de la pandémie de Covid-19 qui avait déjà plongé le continent dans la récession. L’inflation risque de continuer à gonfler, fragilisant entreprises et ménages. « C’est le double choc avec la pandémie suivie de la guerre en Ukraine », souligne Agathe Demarais qui prédit « deux à trois ans de douleur économique ».

Le prix des matières premières a beaucoup augmenté tout comme les factures d’électricité et « des entreprises, notamment des fonderies, ont déjà fermé ». L’Economist Intelligence Unit, qu’elle dirige, prévoit une récession pour la France de 0,3 %. L’Hexagone n’est toutefois pas en aussi mauvaise posture que ses voisins qui affichent des prévisions de croissance de -1 % pour l’Allemagne, -1,3 % pour l’Italie et -0,9 % pour le Royaume-Uni. Paris reste mieux loti côté inflation, notamment grâce à sa plus faible dépendance aux énergies russes. La France affiche la plus faible augmentation des prix de la zone euro. De quoi se rassurer quand on enfilera un pull de plus pour éviter une facture exorbitante.

Une « menace à l’encontre de l’Union européenne »

Plus qu’une volonté de nuire au marché énergétique ou même économique de l’Union européenne, ce sabotage pourrait en réalité faire office d’avertissement. Les explosions ont nécessité plus de 100 kg d’explosifs d’après des experts suédois. Moscou est pointé du doigt mais nie toute implication. Pourtant, le timing interroge. Ce mardi, la Pologne a inauguré un nouveau gazoduc avec la Norvège. Baltic Pipe transportera 10 milliards de mètres cubes de gaz chaque année en Pologne, permettant à l’UE de s’éloigner un peu plus de sa dépendance énergétique à la Russie.

Pour Agathe Demarais, il s’agit d’une « menace à l’encontre de l’Union Européenne : « On n’hésitera pas à s’en prendre à vos infrastructures. » » D’autant que ce nouveau pipeline n’est pas la seule cible qui se niche au cœur de la mer Baltique que plusieurs pays de l’UE partagent avec la Russie. Les câbles de télécommunication sont aussi sous-marins et s’ils venaient à être coupés, ça serait « le chaos » en Europe, souligne Agathe Demarais, qui remarque une « extension du champ de la guerre ». Entre l’annonce de la mobilisation partielle, les menaces nucléaires, les référendums dans les régions occupées d’Ukraine et ce sabotage, « on a une succession de signaux très inquiétants » note-t-elle. « Poutine a subi des défaites en Ukraine mais au lieu de rétropédaler il se dirige vers l’escalade. »

Source: 20minutes.fr
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