Michel Piccoli vient de tirer la fameuse révérence de comédien sur la pointe des pieds

DÉCÈS – Michel est parti. Et, avec lui, l’art du comédien, la classe, l’élégance et la pudeur, la tendresse et l’extravagance, la fraicheur de ceux qui ont gardé leur âme d’enfant. La cocasserie aussi, l’envie de surprendre, de laisser germer ce grain de folie que semaient pour lui des cinéastes comme Buñuel, Ferreri, Sautet, Godard, Chahine, Bellocchio, Rouffio, Rivette, Moretti: quelle tribu!

Michel est parti. Je ne sais plus qui a commencé, mais pendant quarante ans nous avons échangé des billets fraternels sans s’être jamais tutoyés. Autant de joutes verbales, de récriminations exagérément courtoises, de très sérieuses provocations en duel. On blaguait, on faisait semblant d’être vexés, on riait… 

La voix comme instrument

Son père était violoniste, sa mère pianiste, Michel, lui, jouait de l’intonation. Nous n’entendrons plus ses éclats tonitruants ni sa  petite voix chuchotée, à la limite de l’audible. Nous ne verrons plus s’allumer son sourire. Nous nous sentirons toujours petits devant sa stature robuste, ce front immense à la Victor Hugo, son œil de velours de séducteur stendhalien. De lui qui a tenu dans ses bras des créatures de rêve: Romy, Brigitte, Jeanne, Catherine, Anouk…, nous nous sentirons à jamais des amoureux inconsolables. 

Par bonheur, il nous reste les films, ces films où l’homme de toutes les métamorphoses a tout joué: militaires, prêtres, flics, chirurgiens, scénaristes, amants, maris, les orgueilleux, les lâches, les damnés… Le pape.

Dans un de mes portraits filmés, je lui avais réservé le rôle de l’inspecteur du fisc censé contrôler le producteur Alain Sarde. A la fin du plan, parfait dès la première prise, Michel se prend la tête dans les mains, se met soudain à pleurer et improvise une suite, feignant devenir fou. La scène est d’anthologie. Il nous offrait du Ferreri.

On ne dirigeait pas Piccoli, on le filmait

Inutile de lui donner des indications: c’est le personnage qui le guidait. Le personnage et une certaine imprégnation: accueillir l’évidence des choses – les choses de la vie – tout en laissant intact leur mystère. A peine signé un contrat, il choisissait lui-même ses vêtements, son apparence physique, un détail – quelque chose qui lui permettait de se dire: je le tiens.

Il se le disait avec une modestie non feinte: Chahine lui avait offert le rôle d’Adieu Bonaparte mais il ne se prenait pas pour Napoléon.

Même quand, à Cannes, il a sauté sur la table en hurlant “Vive Chahine!” le jour où je célébrais le cinéaste égyptien.

Peu sensible aux honneurs

Lui-même était peu sensible aux honneurs. Il aimait mieux partager un repas, une conversation, un baiser qu’un prix.

Il pouvait aussi bien se mettre en colère, ses fameuses colères pas toujours feintes, histoire de nous ramener à la réalité des gens qui souffrent ou des idées qui peinent à s’affirmer.

Michel est parti sur la pointe des pieds.

Même sa révérence, la fameuse révérence du comédien, il vient de la tirer en douce. Et pourtant quel ouragan Michel a été au cinéma comme au théâtre.

La France est orpheline d’un fils qui est pour nous tous quelque chose d’indispensable comme le soleil, l’eau, le vent.

Lui nous laisse son œuvre et notre chagrin.

 

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Source: huffingtonpost.fr

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