Le cinéma d’animation est le grand rescapé du coronavirus, mais ça ne va pas durer

CINEMA – Certains vont reprendre le chemin des salles d’école, d’autres celui des salles de cinéma. Ce lundi 22 juin marque enfin la réouverture des salles obscures avec à l’affiche, des comédies, des biopics, mais aussi des films d’animation parmi lesquels “En avant” de Pixar ou ”Nous les Chiens”. Alors que se tient (virtuellement) le prestigieux festival du film d’animation d’Annecy, on a voulu savoir comment cette branche du cinéma – qui représente environ 15 % du box-office chaque année – avait vécu la crise du coronavirus.

Alors qu’à la mi-mars, de nombreux tournages de films ou de séries ont été soudainement suspendus, l’industrie de l’animation, elle, n’a pas été paralysée. “L’animation a su, comme à chaque fois, s’adapter très rapidement. En à peine 48 heures, la majorité des studios français a mis des centaines d’artistes, d’animateurs en télétravail”, raconte au HuffPost Mickaël Marin, directeur du festival international d’Annecy.

L’animation en télétravail

C’est notamment le cas du studio Millimages, fondé en 1991 et qui fabrique le dessin animé “Molang”. “C’est sûr qu’on a manqué un peu d’expérience et d’organisation, mais on y est arrivé”, concède le PDG Roch Lener. ”‘Molang’ c’est de l’animation numérique en 2D, la plupart des corps de métier qui y travaillent sont déjà équipés d’ordinateurs, de micros… donc la production a continué. On peut dire qu’on a même eu une activité extrêmement intense.”

En plus de la fabrication des épisodes classiques de “Molang”, le gros lapin blanc adoré des enfants dans plus de 200 pays du monde a même été intégré dans des épisodes en lien avec le coronavirus. Certaines vidéos où Molang et son acolyte Pioupiou appliquent les gestes barrière ont ainsi été diffusées sur Internet, mais aussi dans les transports en commun en Corée ou au Mexique.

 

“L’essentiel de la production française, c’est de l’animation en 2D. Donc l’activité a pu continuer”, confirme Philippe Alessandri, président du Syndicat des producteurs de films d’animation (SPFA). Seuls les studios qui produisent des longs-métrages en 3D ou avec beaucoup d’effets spéciaux ont pour certains mis en suspens leur travail, parce qu’ils nécessitent des outils plus puissants inutilisables à distance ou parfois par crainte de piratage.

“Nous ne sommes pas les plus à plaindre”

Dans le cinéma traditionnel, plusieurs dizaines de tournages ont été arrêtés, de “Adieu monsieur Haffmann” aux “Tuche” en passant par “Astérix et Obélix”, et peinent aujourd’hui à reprendre. La société des réalisateurs de films (SRF), qui réunit notamment Céline Sciamma, Jacques Audiard et Bertrand Bonello, déplore que le guide des règles sanitaires à suivre pour la reprise des tournages soit “en grande partie incompatible avec la pratique de nos métiers.”

Empêcher les acteurs de se toucher, de se postillonner dessus ou de s’embrasser, éviter les scènes d’intérieur ou de foule… Dans l’animation, ces questions ne se posent pas et Molang peut bien serrer autant qu’il veut Pioupiou dans ses bras sans risquer de créer un nouveau cluster au sein de l’équipe de tournage. “C’est sûr que dans l’immédiat, nous ne sommes pas les plus à plaindre”, dit Roch Lener, qui envisage un retard de deux mois tout au plus sur certaines productions.

Il se peut même qu’on voie davantage d’animation dans les grilles de programme des chaînes et surtout des plateformes de streaming. “Probablement qu’elles vont un peu plus se tourner vers l’animation. Si les autres productions live ont du retard, l’animation pourra répondre présente”, avance Mickaël Marin.

“La relance va venir des plateformes de streaming”, confirme le patron du SPFA. “Elles n’ont pas souffert du confinement, bien au contraire. Et comme elles ne vivent pas des recettes publicitaires, elles ne sont pas touchées par la crise”. Si Netflix, Amazon et les autres avaient déjà fait une place pour l’animation – notamment à destination des enfants – dans leur catalogue, leur appétence pourrait bien s’intensifier. “Cette période aura sans doute concentré un mouvement déjà engagé”, précise Roch Lener.

Mais si l’impact immédiat de la crise liée au coronavirus est plutôt moindre dans le secteur de l’animation à ce jour, c’est l’avenir qui inquiète nos interlocuteurs. “On ne connaît pas encore les conséquences du coronavirus sur le monde des médias”, indique le fondateur de Millimages qui vend ses productions à de nombreuses chaînes de télévision à travers le monde. “Est-ce que les investissements futurs seront restreints? Et pour combien de temps?”, interroge-t-il.

15% de baisse de la production en 2021

Philippe Alessandri, le président du SPFA, est plus pessimiste. “La commande de dessins animés à l’international est déjà à l’arrêt”, décrit-il. Les chaînes, ayant pour beaucoup perdu des revenus publicitaires, ont revu à la baisse leurs achats. “Et les dessins animés en font les frais, car ils sont moins stratégiques et moins prioritaires que les programmes de fiction classiques que sont les films ou les séries.”

Mais surtout, le syndicat des producteurs des films d’animation anticipe des conséquences plus dures sur l’année 2021 en France. En effet, l’obligation des chaînes françaises (publiques comme privées) à investir dans l’animation est indexée sur leur chiffre d’affaires. Or comme celui-ci va souffrir de la crise économique, le secteur de l’animation en sera aussi victime. “On prévoit une baisse d’un tiers des investissements des chaînes de télévision privées” ce qui pourrait entraîner une “baisse de la production de 15 % pour l’animation” en France en 2021, prévoit Philippe Alessandri.

C’est dans ce contexte incertain que le festival d’Annecy a ouvert virtuellement ses portes jusqu’au mardi 30 juin. Là où d’habitude quelque 90 délégations venues du monde entier se retrouvent pour assister à des projections et faire leur marché dans la ville de Haute-Savoie, une plateforme en ligne a été créée pour que les professionnels puissent tout de même échanger. ”Ça a été un vrai soulagement pour toute l’industrie de voir que l’événement allait avoir lieu”, assure Mickaël Marin, son directeur.

Pour preuve, les demandes d’accréditation ont été plus nombreuses que l’an passé et les rendez-vous s’enchaînent par dizaine chaque jour sur le marché virtuel, nous assure-t-on. Tout comme le Festival de Cannes a tenu à apposer son label sur une cinquantaine de films sélectionnés, Annecy entend accomplir sa mission de “montrer des films, valoriser des talents et accompagner” toute une industrie qui, jusque là relativement épargnée, devrait elle aussi connaître des jours plus sombres.

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Source: huffingtonpost.fr

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