L’analyse de l’épave du Batavia met en lumière le savoir-faire des chantiers navals néerlandais durant le Siècle d’or

Comment les Néerlandais ont-ils pu dominer le commerce mondial au 17e siècle ? Grâce à leur maîtrise de la construction navale et à leur réseau d’approvisionnement en bois. C’est ce que révèle la première analyse dendrochronologique de l’épave du « Batavia », fleuron de la flotte de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, qui s’est échoué au large de l’Australie en 1629, lors de son voyage inaugural.

Réplique du Batavia

 

La réplique du Batavia voguant sur le lac de Marken (Pays-Bas) pendant le tournage d’un film.

ADZee / Wikimedia

 

Au 17e siècle, les Provinces-Unies (qui deviendront les Pays-Bas au 19e siècle) ont connu un formidable essor économique en se dotant dans le sud-est de l’Asie d’un empire colonial en grande partie soustrait à leurs concurrents ibériques, mais aussi français et anglais. Conquise en 1619, Djakarta, aujourd’hui capitale de l’Indonésie, fut renommée Batavia, et devint la destination d’innombrables navires de haute mer. Mais comment les Néerlandais ont-ils construit ces navires, alors même qu’il n’y avait pratiquement pas de forêts sur leur territoire et qu’une pénurie de chênes régnait sur le continent européen ? Une étude publiée dans PLoS One, dirigée par l’archéologue navale Wendy van Duivenvoorde de l’université Flinders d’Adelaïde (Australie), apporte des réponses à ces questions en analysant une source de choix : l’épave la plus emblématique de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, le Batavia. Échoué au large de l’Australie lors de son voyage inaugural en 1629, il offre une occasion unique de comprendre les méthodes de construction innovantes et d’identifier les sources d’approvisionnement en bois des chantiers navals de cette entreprise hors norme, qui fut la première société par actions et que l’on considère aujourd’hui comme la première multinationale.

L’analyse de l’épave du Batavia met en lumière le savoir-faire des chantiers navals néerlandais durant le Siècle d’or

Signe de sa puissance, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (Verenigde Oostindische Compagnie, en abrégé VOC) faisait elle-même construire au sein de ses propres chantiers navals les navires qu’elle équipait. L’activité prit une telle ampleur à partir du 17e siècle que le bois devint alors l’un des cinq principaux produits d’importation de la République. Pour retracer cet approvisionnement, les chercheurs disposent a priori d’une source majeure : les archives de la VOC. Toutes les transactions passées au cours des deux siècles de son existence (1602-1795) y ont été consignées dans le détail. Pourtant, malgré la richesse de ces documents exceptionnels, inscrits au registre de la Mémoire du Monde de l’UNESCO depuis 2003, aucune mention n’est faite de la provenance du bois d’importation. Pour éclaircir ce qui reste encore un mystère, il faut donc se tourner vers les vestiges de navires de la VOC, en l’occurrence vers l’épave du Batavia, seul vaisseau de la compagnie datant du début du 17e siècle que l’on ait remonté à la surface. Construit en deux ans et demi, le trois-mâts a pris la tête d’une flotte de six navires en octobre 1628, en direction des Indes néerlandaises, qu’il n’atteindra jamais. Car le 4 juin 1629, il se heurte à un récif dans l’archipel Houtman Abrolhos, au large de la côte occidentale de l’Australie. Ce naufrage a par ailleurs donné lieu à un véritable massacre entre les rescapés qui ont dû rester sur place en attendant les secours, ce dont attestent les fouilles réalisées dans l’archipel au cours des années 1970. Une partie de la coque a pu être réassemblée ; exposée depuis 1991 au Western Australian Shipwrecks Museum de Fremantle (Australie), elle constitue une exceptionnelle source d’informations sur les nouvelles méthodes de construction navale de l’époque.

Les vestiges de la coque du Batavia, exposés au Western Australian Shipwrecks Museum de Fremantle (Australie). © Western Australian Museum

Les charpentiers de marine ont tout fait pour rendre la coque à la fois solide et étanche

Au 17e siècle, les Provinces-Unies (qui deviendront les Pays-Bas au 19e siècle) ont connu un formidable essor économique en se dotant dans le sud-est de l’Asie d’un empire colonial en grande partie soustrait à leurs concurrents ibériques, mais aussi français et anglais. Conquise en 1619, Djakarta, aujourd’hui capitale de l’Indonésie, fut renommée Batavia, et devint la destination d’innombrables navires de haute mer. Mais comment les Néerlandais ont-ils construit ces navires, alors même qu’il n’y avait pratiquement pas de forêts sur leur territoire et qu’une pénurie de chênes régnait sur le continent européen ? Une étude publiée dans PLoS One, dirigée par l’archéologue navale Wendy van Duivenvoorde de l’université Flinders d’Adelaïde (Australie), apporte des réponses à ces questions en analysant une source de choix : l’épave la plus emblématique de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, le Batavia. Échoué au large de l’Australie lors de son voyage inaugural en 1629, il offre une occasion unique de comprendre les méthodes de construction innovantes et d’identifier les sources d’approvisionnement en bois des chantiers navals de cette entreprise hors norme, qui fut la première société par actions et que l’on considère aujourd’hui comme la première multinationale.

L’analyse de l’épave du Batavia met en lumière le savoir-faire des chantiers navals néerlandais durant le Siècle d’or

Signe de sa puissance, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (Verenigde Oostindische Compagnie, en abrégé VOC) faisait elle-même construire au sein de ses propres chantiers navals les navires qu’elle équipait. L’activité prit une telle ampleur à partir du 17e siècle que le bois devint alors l’un des cinq principaux produits d’importation de la République. Pour retracer cet approvisionnement, les chercheurs disposent a priori d’une source majeure : les archives de la VOC. Toutes les transactions passées au cours des deux siècles de son existence (1602-1795) y ont été consignées dans le détail. Pourtant, malgré la richesse de ces documents exceptionnels, inscrits au registre de la Mémoire du Monde de l’UNESCO depuis 2003, aucune mention n’est faite de la provenance du bois d’importation. Pour éclaircir ce qui reste encore un mystère, il faut donc se tourner vers les vestiges de navires de la VOC, en l’occurrence vers l’épave du Batavia, seul vaisseau de la compagnie datant du début du 17e siècle que l’on ait remonté à la surface. Construit en deux ans et demi, le trois-mâts a pris la tête d’une flotte de six navires en octobre 1628, en direction des Indes néerlandaises, qu’il n’atteindra jamais. Car le 4 juin 1629, il se heurte à un récif dans l’archipel Houtman Abrolhos, au large de la côte occidentale de l’Australie. Ce naufrage a par ailleurs donné lieu à un véritable massacre entre les rescapés qui ont dû rester sur place en attendant les secours, ce dont attestent les fouilles réalisées dans l’archipel au cours des années 1970. Une partie de la coque a pu être réassemblée ; exposée depuis 1991 au Western Australian Shipwrecks Museum de Fremantle (Australie), elle constitue une exceptionnelle source d’informations sur les nouvelles méthodes de construction navale de l’époque.

Les vestiges de la coque du Batavia, exposés au Western Australian Shipwrecks Museum de Fremantle (Australie). © Western Australian Museum

Les charpentiers de marine ont tout fait pour rendre la coque à la fois solide et étanche

Ayant commencé à naviguer vers l’Asie du Sud-Est à partir de 1595, les Néerlandais ont dû innover en matière de construction navale pour fabriquer des vaisseaux suffisamment grands et solides, qui soient capables de supporter un voyage dans l’océan Atlantique, puis l’océan Indien de près de dix mois. Le Batavia a donc été conçu dans cette optique : d’un volume de 600 tonnes, il mesurait 45 mètres de long au niveau du pont supérieur pour 10 mètres de large, et sa coque atteignait 4 mètres de hauteur. Wendy van Duivenvoorde a pu reconstituer la construction de cette coque dès le début des années 2010. De ce premier examen archéologique, elle a conclu que les charpentiers de marine de la VOC avaient tout fait pour la rendre à la fois solide et étanche, en la protégeant des mollusques (comme les tarets) et des organismes marins susceptibles de l’attaquer. Ils ont donc multiplié les couches afin de la rendre extraordinairement épaisse en-dessous de la ligne de flottaison : « Deux couches extérieures de bordé de chêne ont fourni l’essentiel de la résistance de la coque, que les constructeurs ont encore renforcée et protégée avec une couche extérieure de revêtement en pin. Ils ont intercalé les membrures entre ces couches extérieures et une couche de planches en chêne à l’intérieur, qui a elle aussi été renforcée et protégée sous le pont inférieur par un plancher en pin. » Fixée par d’innombrables clous en fer au premier bordé de chêne, la couche extérieure de pin avait en outre pour rôle de repousser les organismes marins grâce à l’oxyde de fer qui s’y formerait une fois les clous corrodés au contact de l’eau.

Vue intérieure desvestiges de la coque du Batavia. © Wendy van Duivenvoorde et al.

Consignée dans la charte de construction navale de la VOC, cette fabrication multicouche est caractéristique des navires de la Compagnie et correspond à la méthode de construction des navires baleiniers mentionnée à partir de 1660, époque où les Néerlandais commencent à chasser la baleine aux alentours du Spitzberg. La VOC a donc anticipé de 50 ans cette pratique pour ses navires à destination de régions plus chaudes, mais non moins dénuées de dangers.

700 arbres sélectionnés au nord de l’Europe

Les dimensions du Batavia laissent présumer qu’il a fallu abattre au moins 700 arbres pour le construire. Pour connaître leur origine, les chercheuses ont procédé à une analyse dendrochronologique des bois constitutifs de la coque. 137 échantillons ont ainsi pu être prélevés sur 101 poutres (des vestiges de bordés de la coque, des membrures et un sabord). Les dates d’abattage des chênes et des pins sont estimées à 1625 au plus tard, ce qui laisse entendre que le bois a rapidement été transformé, alors qu’il était plus facile de le débiter et de plier les planches encore vertes pour leur donner la forme voulue au sein de la future structure. L’analyse a également révélé que le bois provient de quatre régions différentes : les planches de la coque situées sous la ligne de flottaison viennent du sud-est de la Baltique ; les planches de la coque intérieure situées au-dessus de la zone de flottaison sont originaires des environs de Lübeck, dans le nord de l’Allemagne ; les bois de charpente et les membrures proviennent du nord-ouest de l’Allemagne, de Basse-Saxe plus précisément ; enfin, un bois de charpente se distingue des autres et provient sans doute d’une forêt de l’est de la Suède.
L’analyse dendrochronologique permet ainsi de mettre en lumière une autre innovation en matière de construction navale, car il était auparavant d’usage de sélectionner le bois en fonction de son type de croissance : pour fabriquer les planches, on choisissait des arbres à croissance lente, tandis que la charpente était constituée d’arbres à croissance rapide. Mais les charpentiers de la VOC ont procédé différemment en sélectionnant des bois d’origines distinctes selon les éléments qu’ils allaient construire : les arbres de la région baltique étant destinés au bordage, ceux de la Basse-Saxe à la charpente.

Joseph Mulder, L’entrepôt et le chantier naval des Indes orientales sur Oostenburg vus du nord (1693). © Stadsarchief Amsterdam

Les cernes d’aubier ont été systématiquement retirés

Les chercheuses ont noté une autre particularité dans le traitement du bois, qui a d’ailleurs compliqué les estimations de datation des arbres : les cernes d’aubier, c’est-à-dire la partie la plus externe du bois juste en-dessous de l’écorce, avaient été systématiquement retirés. Cette pratique, qui reflète une remarquable connaissance du matériau car l’aubier, très tendre, est particulièrement sensible aux attaques des insectes, constitue une nouvelle preuve attestant de la volonté de construire un navire extrêmement solide. La sélection du bois relève du même principe d’excellence, car « le chêne de la Baltique était réputé pour sa qualité exceptionnelle« , est-il spécifié. En raison de la finesse de son grain, il était particulièrement recherché pour la construction des panneaux servant de support aux peintures jusqu’au milieu du 17e siècle. Peu susceptible de se fissurer, le bois de la Baltique a donc servi à fabriquer les planches longues et épaisses, pouvant peser jusqu’à 350 kg, destinées à constituer le fond de la coque, tandis que le bois noueux de Basse-Saxe, de moindre qualité et moins cher, était parfaitement destiné à la charpente, qui jouait un rôle secondaire dans la construction des navires de la VOC.

Le bois de construction a été scié à la main

Les charpentiers de marine de la VOC possédaient donc un étonnant savoir-faire technique et une connaissance approfondie du bois et des régions productrices, alors même que les nations maritimes jusqu’alors prédominantes – le Portugal, l’Espagne, la France et l’Angleterre – étaient en difficulté pour s’approvisionner. Les Néerlandais se sont en effet appuyés sur leur vaste réseau commercial, bien établi depuis le Moyen Âge, pour acquérir les immenses quantités de bois nécessaires à la construction des centaines de navires de haute mer qui virent le jour au 17e siècle. Car le Batavia est aussi l’un des vaisseaux emblématiques de la VOC, conçu à l’aube d’une révolution fondamentale : l’industrialisation de la construction navale. Son bois de construction fut entièrement scié à la main, la VOC ne fabriquant alors que trois à quatre navires par an. Mais deux ans après son achèvement, en 1630, les guildes d’Amsterdam ne purent plus s’opposer à l’installation de scieries mécanisées, actionnées par des moulins à vent. Dès lors, l’industrialisation du sciage du bois vint s’ajouter aux domaines d’excellence de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales pour lui permettre de s’imposer dans la construction navale et dominer le commerce mondial.

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Source: Sciencesetavenir.fr
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