Guerre en Ukraine : Références à Mai 68 et dialogue sans fioritures, Zelensky à la conquête des étudiants français

Le 4 mai, le président ukrainien s'est adressé aux Danois.
Le 4 mai, le président ukrainien s’est adressé aux Danois. — LISELOTTE SABROE / RITZAU SCANPIX / AFP
  • Après une série d’adresses à divers Parlements à travers le monde, Volodymyr Zelensky entend désormais échanger avec les communautés universitaires.
  • Ce mercredi 11 mai et pour la première fois, il s’est adressé en direct aux étudiants français lors d’un débat organisé en partenariat avec cinq grandes écoles.
  • Un recueil de 23 discours du chef d’Etat ukrainien a par ailleurs été publié ce jour par les éditions Grasset.

Les étudiants français n’ont pas dérogé à la règle. Ce mercredi 11 mai, les travées de l’amphithéâtre Emile-Boutmy de Sciences po Paris étaient bondées. À Dijon, Lille ou Lyon, ils étaient des milliers à suivre en direct sur YouTube le tout premier discours du président Ukrainien, Volodymyr Zelensky, adressé à une communauté universitaire européenne. Inscrits depuis plusieurs jours à l’événement, certains étudiants sont arrivés tôt, rue Saint-Guillaume (7e arrondissement) pour dénicher une « bonne place » face à l’immense écran géant déployé dans la salle de cours de l’école.

Organisé à l’initiative de l’ambassade d’Ukraine en France, cet échange devrait se rejouer dans les prochaines semaines au sein d’universités britanniques et américaines. Soixante-dix-sept jours après le début de l’offensive russe contre Kiev, l’ancien comédien devenu « serviteur du peuple » a rodé l’exercice. À Jérusalem, Berlin ou Tokyo, ses interventions retransmises en visioconférence aux parlementaires du monde entier ont soulevé le même enthousiasme. En ponctuant ses discours de références historiques ou culturelles propres à chaque Etat, Volodymyr Zelensky use désormais de ce format pour mener une guerre de communication à la Russie.

Mai 68, Pearl Harbor et Churchill

Pour faire de ses allocutions des petits bouts d’histoire, le président ukrainien et ses conseillers ont élaboré au fil des mois une mécanique précise. Visuellement, d’abord, les discours de Zelensky sont devenus des objets identifiables. Même cadrage – un plan serré capté depuis son bureau – et même tenue – un tee-shirt kaki militaire à l’écusson bleu et jaune. Sur le fond ensuite, le chef d’Etat adapte systématiquement son propos en fonction de son auditoire. Ce mercredi après-midi, l’ancien comédien est allé piocher dans l’histoire du mouvement étudiant français en évoquant « l’apport fondamental » de mai 68 et en citant le célèbre slogan libertaire, « Il est interdit d’interdire ».

Quelques semaines plus tôt, face aux députés de l’Assemblée nationale, il avait qualifié le conflit de « guerre contre la liberté, l’égalité, la fraternité », en référence à notre devise nationale. Aux Etats-Unis, il avait tour à tour évoqué l’attaque de Pearl Harbor, le 11 septembre 2001 ou la devise de Martin Luther King « I have a dream ». À Londres, c’est Churchill et son discours de juin 1940 et William Shakespeare qui sont venus ponctuer ses propos. Interrogé par 20 Minutes à l’issue du discours prononcé ce mercredi par Zelensky, l’ambassadeur d’Ukraine en France, Vadym Omelchenko indique : « Le président travaille lui-même ses interventions dans un premier temps puis il sollicite les ambassadeurs des pays dans lesquels il doit s’exprimer pour que nous puissions lui faire part de nos idées concernant des particularités culturelles ou historiques. »

Derrière ces discours, on trouve aussi un homme discret, âgé de 38 ans, ancien journaliste et analyste politique, Dmytro Lytvyn. Dans une interview exclusive accordée le 16 avril à l’hebdomadaire britannique The Observer, ce proche conseiller de Zelensky détaillait : « Le président sait toujours ce qu’il souhaite dire et comment il souhaite le faire. Dans ses discours, les émotions jouent aussi un rôle très important », estimant par ailleurs que d’autres leadeurs « pourraient s’en inspirer ».

Un lien de proximité

Issu de la société civile et âgé de 44 ans seulement, Zelensky s’est souvent positionné face à ses homologues étrangers comme un chef d’Etat « hors système » soucieux de casser les codes traditionnels de la politique. Face aux étudiants de Sciences po, l’homme a, une fois encore, joué la carte de l’authenticité. Initialement limité à cinq questions de cinq étudiants d’universités différentes, le président ukrainien a fait sauter le cadre de l’événement dès les premières minutes de son intervention. « Cinq questions ce n’est pas suffisant. Je ne veux pas que ça ait l’air d’un privilège. Ça m’intéresse de vous poser aussi à vous des questions pour que ce soit un vrai dialogue », a-t-il lancé.

Au-delà de ce lien de proximité que tente de tisser Volodymyr Zelensky dans ses discours, le chef d’Etat ukrainien adapte sans cesse ses revendications à son auditoire. En pleine polémique sur le maintien des entreprises du groupe Mulliez en Russie, le président avait interpellé les députés et sénateurs français sur le sujet lors de son discours le 23 mars. « Auchan, Leroy Merlin, cessez d’être les sponsors de la machine de guerre de la Russie ! Arrêtez de financer le meurtre d’enfants et de femmes ! »

Un recueil publié en France

En choisissant cette fois de toucher les étudiants, Zelensky a voulu s’adresser à ceux qui vont « décider de l’avenir de la France, de l’Ukraine et du monde » et les a interrogés : « Êtes-vous prêts à faire de la politique demain ? ». Kyrylo, 21 ans, étudiant ukrainien venu à Paris dans le cadre d’un programme d’échange entre Sciences po Paris et son université, salue l’intervention de son président. « Beaucoup d’étudiants qui sont ici présents n’ont pas encore clarifié leur chemin professionnel et politique. Ce discours, ça peut les encourager à changer la politique internationale », espère ainsi le jeune homme.

Hasard du calendrier et signe du caractère atypique de ces allocutions, la maison d’édition Grasset a publié ce mercredi 11 mai un recueil de 23 discours de Volodymyr Zelensky. Intitulé Pour l’Ukraine, l’ouvrage à but non lucratif intègre également des discours prononcés par le chef d’Etat à son peuple. C’est Charles Dantzig, éditeur chez Grasset, qui est à l’origine du projet. Qualifiés de « récit de guerre » et « de résistance », ces fragments du conflit sont pour la plupart « absolument inconnus » du grand public, explique-t-il. Et de conclure : « Seule la forme de livre les fera rester. »

Source: 20minutes.fr
laissez un commentaire