Guerre en Ukraine : ce que dévoilent les communications des soldats russes sur des fréquences radio non sécurisées

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« Nos avions de chasse commencent à bombarder dans dix minutes. Vous m’avez compris ? » Le destinataire russe qui reçoit cette transmission radio d’un soldat sur le front ukrainien a bien reçu l’information – et il n’est pas le seul. Les soldats ukrainiens et tous ceux qui savent intercepter des communications radio non sécurisées ont pu l’entendre aussi. L’armée russe a beau être l’une des plus puissantes du monde, elle utilise des ondes radio publiques (et donc accessibles à qui veut écouter) pour certaines de ses communications stratégiques sur le champ de bataille.

Comme l’expliquait déjà Libération le 9 mars, des images du terrain montrent depuis plusieurs semaines que les soldats russes utilisent des radios civiles non protégées. Plusieurs radioamateurs – des spécialistes ou des volontaires à même de capter, grâce à des récepteurs radio, des échanges diffusés sur des ondes libres – ont ainsi pu écouter et enregistrer des communications de l’armée russe.

Le New York Times s’en est procuré une centaine concernant les batailles autour de Makariv, à la fin de février, à l’ouest de Kiev. Recoupés avec des vidéos et des témoignages sur le terrain, ils mettent en lumière une forme d’impréparation, voire d’amateurisme, des forces russes aux premiers jours du conflit.

Le quotidien américain a publié dans une vidéo, mercredi 23 mars, des extraits de ces échanges lors desquels des unités russes dévoilent, sur des fréquences non sécurisées, des renseignements stratégiques sur leurs actions militaires, en cours ou à venir, ou sur leurs positions. L’un annonce donc l’attaque imminente d’avions de chasse. Un autre déclare que son unité « se retire de Motyjyn » en abandonnant un véhicule blindé « endommagé ».

« Décision a été prise de retirer toutes les unités russes du quartier résidentiel, l’artillerie va cibler la zone », prévient un autre soldat russe sur les ondes, dévoilant publiquement l’ordre explicite de viser une zone d’habitation. Selon le New York Times, des habitants de Makariv et des environs ont confirmé que les Russes avaient bien tiré sans distinction sur leurs maisons. « Il pourrait s’agir d’un crime de guerre », écrit Christiaan Triebert, l’un des auteurs de l’enquête.

L’usage de ces communications non cryptées n’est pas l’apanage de simples soldats et a de lourdes conséquences pour les forces de Vladimir Poutine. Selon le New York Times, des généraux ont aussi utilisé des radios et des téléphones non sécurisés, ce qui aurait permis aux forces ukrainiennes de traquer, de localiser et de tuer au moins l’un d’entre eux.

Ces enregistrements, dans lesquels des soldats pris sous le feu des balles, parfois paniqués et au bord des larmes, lancent des appels à l’aide, sont également accablants pour l’image de l’armée russe. Ils corroborent par ailleurs les vidéos de chars en panne ou de soldats sans ravitaillement qui ont surpris nombre d’analystes au début du conflit. « Besoin urgent de ravitaillement en carburant, eau et nourriture », réclame ainsi une unité proche de Makariv, à la fin de février.

Dans ces communications transparaissent les défaillances organisationnelles et logistiques des forces russes. En témoigne cet échange tendu entre deux unités :

Une demi-heure plus tard, le même YUG-95 s’adresse de nouveau à BURAN-30 : « Vous avez oublié le putain de soutien aérien ! Vous avez oublié, putain ! »

Cette utilisation de fréquences radio non protégées est la porte ouverte aux interceptions, mais aussi aux brouillages et aux interférences, ce dont les forces ukrainiennes ne se sont pas privées. Dans des échanges publiés par Libération, on entend par exemple l’hymne ukrainien diffusé au milieu d’un échange entre unités russes. Dans ceux du New York Times, BURAN-30, visiblement en difficulté, demande une « solution de repli ». C’est un Ukrainien qui lui répond : « Rentre chez toi, Buran. Mieux vaut être un déserteur qu’un fertilisant. »

Selon le média américain, les Russes ont compris leurs erreurs et passent désormais davantage par un langage codé et des téléphones sécurisés, mais certaines de leurs communications sont toujours accessibles. Preuve que, si la pénible avancée des Russes en Ukraine doit beaucoup à la résistance du pays attaqué, elle n’est pas étrangère, tant s’en faut, aux fragilités internes des forces de Moscou.

Source: lemonde.fr

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