Clichy-la-Garenne : une défense de mammouth et des traces de Neandertal mises au jour à la lisière de Paris

Des fragments osseux d’un éléphantidé, peut-être un mammouth laineux, ont été mises au jour sur un chantier de construction de Clichy-la-Garenne, aux portes de la capitale. Plusieurs silex ont également été découverts plus en profondeur, traduisant la présence de Neandertal sur les berges de Seine. Des découvertes exceptionnelles par leur situation géographique, trop rarement accessible pour les chercheurs.

Une défense de mammouth trouvée à Clichy-la-Garenne

Ici, les fragments de défense de mammouth affectés par le gel.

Denis Glicksman/Inrap

Il y a au moins 12.000 à 15.000 ans, sans doute bien plus, les mammouths laineux s’abreuvaient dans la Seine et déambulaient sur ses rives. C’est l’une des premières choses que nous confirme une découverte des plus inhabituelles, celle de vestiges d’une défense d’éléphantidé pris dans d’anciens sols gelés… de Clichy-la-Garenne, dans les Hauts-de-Seine. Oui, les mammouths, peut-être ici plutôt un éléphant antique, vivaient bien dans et aux portes de Paris. Nous le savions déjà, mais rares en sont les preuves. Car fouiller les bords de Seine n’est pas chose aisée depuis que les sciences de l’archéologie et de la paléontologie existent : les immeubles y ont poussé comme des champignons, et ce dès les rénovations entreprises entre 1860 et 1870 par Haussmann.  

Ces fragments de défense ne sont pas les seuls trésors trouvés entre le 24 août et le 2 octobre 2020 par les préhistoriens, géomorphologues et paléo-environnementalistes de l’Inrap dépêchés sur un chantier de construction d’immeuble par la Drac Ile-de-France. Un site préhistorique du Paléolithique moyen (-350.000 à -45.000 ans) a également été mis au jour au même endroit, enfouis un peu plus profondément dans les couches stratigraphiques. Y ont été découvert plusieurs silex taillés, notamment des outils, et des restes de faune qui révèlent la présence de Neandertal sur les rives du fleuve. Là encore, il ne s’agit pas d’une première, mais une telle trouvaille est exceptionnelle par sa proximité avec la capitale.

Un éléphantidé d’un âge glaciaire encore inconnu

Tout commence en juin 2020, lorsqu’un diagnostic est effectué en vue de l’obtention d’un permis de construire sur la commune de Clichy-la-Garenne, dans les Haut-de-Seine, à moins d’un kilomètre des rives du fleuve. Cet état des lieux laisse présager que de précieuses informations géologiques – et non archéologiques – sur l’histoire alluviale de la Seine se trouvent sous terre. « Nous avions face à nous un bel enregistrement de toutes les couches depuis le 19e siècle jusqu’à la Préhistoire », raconte Sophie Clément, docteure en préhistoire à l’Inrap et responsable scientifique de la fouille. « Mais nous ne nous attendions pas du tout à trouver des vestiges animaux et humains. »

Les prélèvements des restes de défense de mammouth effectués à l’aide de bandes de plâtre. Crédits : Denis Glicksman/Inrap

Lorsque le travail de recherche in situ débute deux mois plus tard, les chercheurs ont droit à une première surprise : dans une couche de sédiments déformée par une période glaciaire « intense et encore indéterminée », ils repèrent les fragments d’une défense d’éléphantidé, lui-même altéré par la glaciation.

« Il s’est délité en petits morceaux avec la glace mais il reste suffisamment de matière pour le dater et affirmer avec certitude qu’il y a eu des mammouths sur les berges de Seine. » En l’absence de traces d’autres ossements, il n’est en revanche pas encore possible de savoir si l’animal est mort à cet endroit précis ou si sa défense s’est détachée de son cadavre avant d’avoir été emportée par l’eau et rejetée. « Nous avons déjà trouvé des mammouths en région parisienne mais en raison de l’inaccessibilité relative des couches stratigraphiques, leurs restes se font plutôt rares », explique Sophie Clément.

Ces dix dernière années, deux sites franciliens du Paléolithique moyen ont en effet livré des restes de mammouths laineux : celui de Changis-sur-Marne et celui de Monterau-sur-le-Jard, tous deux en Seine-et-Marne. Il faudra maintenant déterminer l’espèce exacte du spécimen de Clichy – s’agit-il d’un mammouth laineux (Mammuthus) ou bien d’un éléphant antique (Palaeoloxodon antiquus) ? – et le dater au carbone 14.

Des silex abandonnés, indices d’un campement express

À un niveau stratigraphique inférieur et donc plus ancien, les préhistoriens ont également trouvé un second ensemble faunique composé de restes de grands herbivores : métapodes de bisons, mandibules de cheval et dents diverses, appartenant peut-être à des aurochs. « Tous ont été découverts regroupés autour d’une grosse dalle de calcaire qui est en cours d’expertise. Nous cherchons à savoir si elle a été transformée par l’Homme, peut-être pour faire office de surface pour découper la viande », poursuit l’experte.

Une vue des alluvions anciennes de la Seine (sables lités) pendant le décapage de la fouille. Crédits : Denis Gliksman/Inrap

Mais c’est ce qui reposait encore un peu plus profondément qui acheva de rendre ce site de fouilles notable. Plusieurs éclats tranchants « dans un état de fraîcheur assez exceptionnel », débités dans un silex local selon la « méthode Levallois » laissent entendre qu’un ou plusieurs individus de Neandertal avaient établi un campement à cet endroit-même et y avaient peut-être pris un repas. « Ces gros éclats ne peuvent pas tous avoir été transportés par l’eau donc nous sommes sûrs qu’ils ont été taillés sur place. Il ne s’agit probablement pas d’un site d’occupation mais d’un endroit où ces hominidés se sont arrêtés. Ils ont sans doute eu besoin d’éclats, les ont taillés et les ont laissés sur place en partant. Il s’agissait d’un acte des plus banals et simples pour eux, il leur était inutile de transporter ces outils. »

« Méthode Levallois ». Cette méthode de débitage consiste à contrôler le volume du nucléus, autrement dit de la matrice dont on extrait des produits de débitage, pour obtenir des éclats dit « éclats Levallois ». Typique du Paléolithique moyen, on la retrouve dans toute l’Europe. Si elle est aujourd’hui reconnue à l’échelle internationale, c’est bien à la ville de Levallois-Perret qu’elle doit son nom, puisque ce sont dans les carrières de la commune que les tous premiers exemplaires d’outils taillés selon cette méthode ont été découverts au XIXe siècle, dans le cadre de la grande rénovation de la capitale.

Le creusement de la tranchée de fouille de Clichy la Garenne à l’aide de pelles mécaniques. Crédits : Denis Glicksman/Inrap

Pour Sophie Clément, cette découverte, au-delà de son apport historique, revêt une importance toute symbolique : « C’est un endroit où nous avons très rarement l’occasion de travailler pour des raisons d’urbanisme. Ici, nous avons eu la chance de creuser sur près de 80 mètres de longueur, ce qui n’arrive jamais ! C’est aussi, et surtout, la première fois depuis la découverte de la méthode Levallois que nous trouvons des outils sur le site éponyme, à seulement quelques kilomètres de l’endroit où nos prédécesseurs du 19e siècle ont noirci les annales de la Préhistoire. Pour nous, c’est assez émouvant. »

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Source: Sciencesetavenir.fr
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