Livre : Une bombe de BD !

Coup de cœur pour cet ouvrage ambitieux qui retrace l’épopée de la bombe atomique, des premières étapes de sa conception à sa réalisation. “La Bombe“ (édition Glénat) est une bande dessinée extrêmement bien documentée, parcourue de dialogues vivants et jamais trop didactiques.

La Bombe

Couverture de « La Bombe » de Alcante, Bollée et Rodier (Glénat).

Dans quelques mois seront célébrés les 75 ans des premières bombes atomiques larguées sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki. Pour l’occasion, l’éditeur Glénat sort une bande dessinée d’une ampleur exceptionnelle et rarement vue dans ce média : 472 pages d’une saga qui s’est étirée de la première dénomination de l’uranium en 1789 aux funestes 6 et 9 août 1945, des mines africaines de Katanga au plateau norvégien enneigée de Hardangervidda, de l’URSS au Nouveau-Mexique. Et il fallait bien ce gabarit pour raconter l’épopée de ce qui restera comme l’un des projets humains les plus ambitieux à avoir vu le jour : la conception d’une arme jamais vue auparavant grâce à l’exploitation d’une ressource dissimulée aux tréfonds même des atomes.

« Un travail quotidien pour bien confronter toutes les informations et les sources »

Genèse, conception, réalisation, toutes les étapes ont été passées en revue par les trois auteurs. Pour l’occasion, ils se sont entourés d’une large documentation : une quarantaine d’ouvrages, des articles, des documentaires. “Il y a la base un travail universitaire de notre part, dit L.F Bollée, l’un des deux scénaristes. Une forte exigence de documentation, avec une lecture abondante, des livres apportant la lumière la plus large possible sur le sujet. Il y a certaines scènes de dix pages qui ont nécessité plus de trois mois de travail quotidien pour bien confronter toutes les informations et les sources »

Pour Didier Alcante, l’autre scénariste et celui à la base du projet, La Bombe concrétise un traumatisme vieux de trente ans ! « Lorsque j’avais 8 ans, un petit Japonais a débarqué dans ma classe. Avec Kazuo, nous sommes devenus super copains. Quand il est reparti au bout d’un an, nous sommes restés en contact. Deux ans plus tard, je me suis rendu au Japon avec mon père. Là, nous avons visité Hiroshima. Et lorsque j’ai vu cette ombre figée à jamais sur un escalier de la ville, celle d’une personne désintégrée instantanément par l’explosion atomique, j’ai été marqué à vie… » 

Une histoire profondément humaine

Cela fait donc des années que Didier Alcante s’intéresse à l’histoire de la bombe atomique et qu’il rassemble de la documentation. Pour les aspects les plus pointus comme la séquence de la réaction en chaîne, il a fait appel à Michel Decré, un consultant et ingénieur physicien. « En tout, cet ouvrage nous a demandés 4 ans de travail », renchérit L.F Bollée. Un travail de documentation qui s’est étendu aux dessins réalisés par Denis Rodier, dessinateur québécois ayant longtemps travaillé avec les éditeurs américains DC comics et Marvel. Et ça s’en ressent ! Si son trait est classique, il offre l’immense mérite d’être précis et clair et de rendre reconnaissable le moindre des protagonistes. Surtout, le découpage dynamique et la mise en scène des trois auteurs rendent l’action extrêmement vivante et rythmée. Le lecteur n’est jamais perdu dans l’intrigue, pourtant dense et fourmillante. Il identifie au premier regard tous les protagonistes. Ce qui était primordial car l’histoire de la bombe atomique est avant tout une histoire humaine.

« Notre voyage de recherche à Hiroshima a été déterminant »

Les scénaristes se sont attardés sur tous les acteurs de cette tragédie, les principaux comme les seconds rôles. Et notamment ceux ayant eu à subir le climax de cette aventure scientifico-militaire exceptionnelle. De nombreux passages sont ainsi consacrés à des civils des villes japonaises martyres. Et les trois auteurs, toujours dans un souci d’exactitude et de retranscription, se sont rendus sur les lieux mêmes de l’explosion. « Il est clair que notre voyage de recherche à Hiroshima a été déterminant, raconte Denis Rodier. Le temps passé à consulter des ouvrages dans les archives du musée de la paix a été d’un apport considérable car l’internet peut souvent nous mener vers des sites complotistes où l’on retrouve des images détournées ou aux références inexactes. » On s’aperçoit alors qu’en plus de se donner les moyens de mettre en scène en profondeur les différentes facettes de son sujet, l’intérêt d’un format aussi ample réside dans la puissance émotionnelle qu’il peut convoquer.

Tout comme un long-métrage l’emporte sur un court, ou qu’un roman est souvent plus fort qu’une nouvelle, l’attachement du lecteur aux personnages et à leurs destins souvent tragiques se renforce au fur et à mesure de l’immersion. Pouvant être vu au départ comme un écueil à la lecture, le format gargantuesque de cet ouvrage atypique se révèle ainsi une formidable opportunité comme nous en offre rarement la bande dessinée. Celle de passer du temps avec des individus qui seront au bout du compte impitoyablement balayés par le souffle de l’Histoire et celui du feu atomique.

La Bombe, Didier Alcante, Laurent-Frédéric Bollée, Denis Rodier, Glénat, 472p, 39€

Source: Sciencesetavenir.fr
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