Covid-19 : des tensions d’approvisionnement se font sentir pour certains médicaments

Une vingtaine de jours après l’entrée de la France en confinement, des professionnels de la santé commencent à signaler des tensions d’approvisionnement de certains médicaments utilisés en particulier afin de prendre en charge des formes graves de Covid-19 à l’hôpital.

Une patiente prise en charge en réanimation

Certains médicaments concernés par les tensions d’approvisionnement servent à la prise en charge des patients en réanimation. 

FEATURE CHINA/BARCROFT MEDIA VIA GETTY IMAGES

Alors que les hôpitaux ne cessent d’accueillir de nouveaux patients infectés par le coronavirus SARS-CoV-2, des médecins et pharmaciens signalent des tensions d’approvisionnement portant sur certains médicaments. Ces produits dont les stocks se réduisent sont en particulier utilisés auprès de patients atteints de formes graves de Covid-19. La plupart servent en réanimation notamment à la prise en charge symptomatique des détresses respiratoires. D’autres dont l’efficacité contre cette maladie infectieuse est encore en cours d’évaluation visent plus spécifiquement à empêcher la réplication du virus dans les tissus.

Tensions sur certains médicaments utilisés en soins intensifs ou en réanimation

Le 31 mars 2020, 9 hôpitaux universitaires européens dont l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) ont signalé aux autorités des tensions d’approvisionnement concernant certains médicaments qu’ils qualifient d’essentiels au traitement des patients atteints de Covid-19 dans les unités de soins intensifs. L’Alliances des hôpitaux universitaires européens (EUHA), réseau auquel appartiennent les signataires de l’appel, aurait en effet mené une enquête auprès de ses membres ; cette investigation aurait révélé qu’un besoin de médicaments de réanimation s’ajouterait désormais à celui d’équipements de protection individuelle et de respirateurs. Au rythme actuel de consommation de ces produits de santé, les stocks de ces hôpitaux – dont les CHU européens jugent le réapprovisionnement insuffisant voire inexistant – pourraient être vidés « dans quelques jours dans les hôpitaux les plus touchés et dans deux semaines dans ceux qui ont les plus grosses réserves », soit aux alentours du 15 avril. « Bien que nous ne disposions pas de données exactes, nous sommes convaincus que la situation n’est pas meilleure dans la plupart des autres établissements de santé de tous nos pays », indiquent ces hôpitaux.

Ces médicaments essentiels à la prise en charge des patients atteints de formes graves de Covid-19 qui pourraient commencer à manquer sont, d’après les 9 hôpitaux signataires, des myorelaxants (qui ont pour effet de relâcher les muscles), des sédatifs et des analgésiques. En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a en effet signalé des tensions d’approvisionnement en fait assez anciennes sur deux curares (l’atracurium commercialisé par le laboratoire Pfizer et le cisatracurium commercialisé par l’entreprise Accord Healthcare) et sur un autre médicament utilisé en anesthésie-réanimation : le propofol commercialisé par la société Fresenius Kabi.

Les curares servent à relâcher les muscles striés tels que les muscles qui permettent d’inspirer de l’air (diaphragme, muscles intercostaux, etc.) : ils sont utilisés afin de faciliter l’intubation endotrachéale et la ventilation assistée des patients en détresse respiratoire. L’autre médicament cité par l’ANSM, le propofol, est un anesthésique général à l’effet sédatif qui permet également de faciliter l’adaptation du patient au respirateur, explique la Société française d’anesthésie-réanimation (SFAR).

L’hôpital Saint-Louis a lui aussi signalé à Sciences et Avenir la réduction du stock d’un hypnotique sédatif couramment utilisé en anesthésie et en soins palliatifs contre les états d’anxiété : le midazolam.

Le 31 mars, lors d’une séance de questions au gouvernement, le ministre de la Santé a par ailleurs confirmé que s’il existait bien des tensions sur des stocks de produits anesthésiques, « aucune demande de limitation de recours à la morphine » n’a été réalisée afin que la douleur puisse continuer d’être prise en charge sur l’ensemble du territoire.

L’ANSM indique enfin dans sa liste de médicaments en rupture de stock des tensions d’approvisionnement d’autres médicaments utilisés en réanimation tels que le chlorhydrate de dobutamine, qui permet notamment d’adapter l’activité cardiaque lors d’un choc. Les individus touchés par le Covid-19 ne sont donc pas les seuls patients qui pourraient être concernés par ces tensions.

Egalement concernés, des médicaments utilisés pour prendre en charge plus spécifiquement le Covid-19

En avril 2020, aucun traitement spécifique de l’infection par le coronavirus SARS-CoV-2 n’a encore été découvert. Cependant, des médicaments font l’objet d’essais. C’est notamment le cas de l’hydroxychloroquine aussi appelé Plaquénil, de l’azithromycine (un antibiotique utilisé dans les essais cliniques en association avec l’hydroxychloriquine) et du Kaletra, une association de deux antiviraux (le lopinavir et le ritonavir). Des tensions pourraient également concerner certains de ces médicaments.

En effet, l’ANSM indique déjà sur son site internet que des tensions d’approvisionnement existent pour le Kaletra, médicament utilisé en ville par des patients infectés par le VIH. Des pharmaciens exerçant en ville ont par ailleurs signalé à des journaux professionnels comme le Moniteur des pharmacies ou le Quotidien du pharmacien qu’il devient difficile de se procurer de l’azithromycine, antibiotique dont continuent d’avoir besoin d’autres patients que ceux touchés par le Covid-19 pour lutter contre des infections bactériennes. Concernant l’hydroxychloroquine, souvent vendue sous le nom commercial Plaquenil, aucune tension d’approvisionnement ne semble avoir été signalée.

Quelles stratégies pour éviter la pénurie ?

« [Ces tensions] ont déjà conduit certains hôpitaux à acheter des médicaments ou des dosages alternatifs à ceux auxquels ils sont habitués« , indiquent les hôpitaux universitaires européens dans leur appel. Cependant, pour éviter les pénuries de médicaments, plusieurs stratégies sont évoquées par les autorités et les professionnels de la santé.

En effet, le 31 mars 2020, le ministre de la Santé Olivier Véran expliquait que, pour éviter que certains médicaments viennent à manquer dans des services où ils apparaissent essentiels, la consommation de plusieurs produits de santé est rationnalisée sur le territoire : les autorités tentent d’en estimer précisément le besoin afin d’utiliser aux mieux les stocks disponibles. « Il y a une priorisation de la répartition des stocks de médicaments. Nous renforçons les approvisionnements par un ‘sourcing’ accru en lien avec l’agence du médicament et nous régulons plus strictement les stocks présents sur le territoire« , a-t-il affirmé. En cas de besoin, le recours à un stock stratégique peut également être décidé : « Il existe un stock stratégique national permettant de passer des commandes massives ­[…] en fonction des besoins », a rappelé le ministre de la Santé. Ce stock concernerait « 8 molécules d’intérêt majeur« .

Les hôpitaux universitaires européens ont eux appelé à une stratégie différente de collaboration internationale pour la production et la distribution de médicaments essentiels sur tout le territoire européen. D’après ces hôpitaux, la disponibilité des médicaments dépend de réseaux de distribution internationaux, certains médicaments n’étant fabriqués que dans certains pays du monde. « Aucun pays en Europe n’a les installations de production nécessaires pour fournir tous les médicaments (ou les respirateurs) nécessaires« , affirment-t-ils. Pour eux, une réponse coordonnée d’échelle européenne à ces tensions d’approvisionnement est donc nécessaire.

D’après l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV), d’assez nombreux vétérinaires auraient été sollicités par des hôpitaux pour leur fournir des médicaments destinés aux animaux en vue de leur utilisation sur des patients humains. C’est que les vétérinaires, qui font partie de la Réserve sanitaire, ont déjà été enjoint par leur ordre professionnel à céder leur matériel de protection (masques, gants, etc.) aux personnels de la santé humaine. L’usage de médicaments destinés à des animaux sur des patients humains reste cependant interdit à l’heure actuelle pour des raisons réglementaires, les normes encadrant la mise sur le marché de médicaments vétérinaires étant différentes de celles qui régulent la commercialisation de médicaments à usage humain. « L’ANSM est en contact avec l’ANMV pour ce qui est de l’étude de l’usage de certains médicaments vétérinaires chez les humains afin de pallier des problèmes d’approvisionnement en médecine humaine », révèle toutefois l’ANMV.

Source: Sciencesetavenir.fr
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