Tuer ou mourir, deux stratégies pour survivre dans la nature

Se sacrifier pour assurer la défense de sa colonie, jeter toutes ses forces dans une seule et unique floraison, dévorer son partenaire… Tous les moyens sont bons pour propager ses gènes, y compris l’infanticide et le cannibalisme.

mante religieuse femelle

Une mante religieuse femelle dévore un mâle durant l’accouplement

Jean-Claude Louchet / Biosphoto / Biosphoto via AFP

Cet article est issu du magazine Les Indispensables de Sciences et Avenir n°211 daté octobre/ décembre 2022.

La vie ne serait pas ce qu’elle est devenue sans l’aide d’une complice… la mort. Oublions le cas trivial des interactions interspécifiques mortifères. Et intéressons-nous aux phénomènes qui se déroulent au sein d’une même espèce. Cette idylle entre la vie et la mort prend parfois des tournures étonnantes.

Par exemple, ce mécanisme appelé « autothyse » (du grec autos, « soi », et thysie, « sacrifice »), qui amène certains individus à se suicider pour la protection du groupe. Pour la défendre contre un agresseur, certains membres d’une colonie se font littéralement exploser, en émettant des substances toxiques et/ou collantes. Un processus bien documenté chez des insectes sociaux comme la fourmi de Malaisie Camponotus saundersi, ou des termites comme Globitermes sulphureus ou Neocapritermes taracua.

Cet article est issu du magazine Les Indispensables de Sciences et Avenir n°211 daté octobre/ décembre 2022.

La vie ne serait pas ce qu’elle est devenue sans l’aide d’une complice… la mort. Oublions le cas trivial des interactions interspécifiques mortifères. Et intéressons-nous aux phénomènes qui se déroulent au sein d’une même espèce. Cette idylle entre la vie et la mort prend parfois des tournures étonnantes.

Par exemple, ce mécanisme appelé « autothyse » (du grec autos, « soi », et thysie, « sacrifice »), qui amène certains individus à se suicider pour la protection du groupe. Pour la défendre contre un agresseur, certains membres d’une colonie se font littéralement exploser, en émettant des substances toxiques et/ou collantes. Un processus bien documenté chez des insectes sociaux comme la fourmi de Malaisie Camponotus saundersi, ou des termites comme Globitermes sulphureus ou Neocapritermes taracua.

Plus simplement, la mort est parfois la conséquence de l’épuisement de l’individu qui a investi toutes ses ressources dans la reproduction. On parle de « sémelparité » (du latin semel, « une fois », et parere, « enfanter ») pour caractériser ces espèces qui ne se reproduisent qu’une seule fois, au terme de leur vie. Chez les plantes, le phénomène s’appelle monocarpie (du grec monos, « un seul », et karpos, « fruit »). « C’est ce qui se passe pour les espèces annuelles, explique Pierre-Henri Gouyon, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle, mais aussi pour d’autres qui vivent de longues années avant de mourir dans des floraisons spectaculaires, notamment certains bambous. » Comme le Phyllostachys reticulata, qui vit en Chine jusqu’à 130 ans avant de fleurir, fructifier… et trépasser.

Toutes les luzernes ne sont pas pérennes

« On trouve un équivalent chez certains animaux comme le saumon, ajoute le chercheur. Il s’agit d’un mécanisme d’optimisation, de compensation, entre survie de l’individu et reproduction : toutes les ressources que vous mettez dans l’une, vous ne les mettez pas dans l’autre. » On observe d’ailleurs comme une hésitation entre les deux stratégies au sein d’un même genre, celui des luzernes (Medicago), ajoute le chercheur : « Les espèces du nord de l’Europe sont pérennes, polycarpiques. Elles ne meurent pas après la première floraison. Alors que dans les pays où les étés sont très secs, les chances de survie de l’individu étant nulles, il a intérêt à tout investir dans les graines, qui donneront des rejetons au retour de la pluie. Sous ces latitudes, les luzernes sont donc annuelles. »

Bagarres fratricides chez les oisillons

Pour optimiser la transmission de ses gènes, on peut mourir, mais aussi tuer ! L’infanticide est notamment le fait de mâles lorsqu’ils prennent le pouvoir sur une ou toutes les femelles d’un groupe. Le lion est connu pour cette pratique, également documentée chez l’ours brun ou le babouin. Ce faisant, il se débarrasse de jeunes qui ne portent pas ses gènes. En outre, n’ayant plus de petits à allaiter, les femelles sont plus rapidement fécondables. Mais l’infanticide peut être aussi pratiqué par des mères qui tuent des rejetons mal fichus, en surnombre, ou dont plus généralement l’avenir est trop incertain. La lionne peut même abandonner le dernier survivant d’une portée pour se consacrer plus rapidement à la suivante.

Les petits aussi peuvent se tuer entre eux : on parle alors de caïnisme (référence à Caïn, qui dans la Bible tue son frère Abel). Il est banal chez des rapaces et d’autres oiseaux qui pondent parfois plus de rejetons qu’ils ne sont capables d’en nourrir. À l’issue de féroces bagarres fratricides, de manœuvres pour pousser la concurrence hors du nid, les parents n’y retrouvent souvent plus qu’un seul petit.

On tue aussi ses propres congénères… pour s’en sustenter. Le cannibalisme existe sous de multiples formes. « Le cas de la mante religieuse, qui dévore le mâle avec lequel elle vient de s’accoupler, est connu, rappelle Marie Trabalon, professeur à l’Université de Rennes 1. Mais on retrouve ce cannibalisme sexuel chez bien d’autres arthropodes, notamment des araignées et des scorpions. Le mâle adulte ne mange plus et consacre toute son énergie à chercher une femelle. Après copulation, épuisé, incapable de lui échapper, il est dévoré par elle. » Optimisant, en l’alimentant, le devenir de ses propres gènes.

Il arrive aussi qu’une femelle se nourrisse de sa progéniture si les conditions ne sont pas favorables à la survie de celle-ci. « C’est le cas de certains rongeurs, écureuil, rat, souris… », confirme Marie Trabalon. On parle de cannibalisme parental ou puerpéral. Une pratique courante chez certaines espèces, notamment d’araignées : maman ingurgite une partie de ses propres œufs, ou larves, pour mieux s’occuper des autres. Pas le temps de faire les courses…

Le cannibalisme est aussi commis entre frères et sœurs, notamment pour les larves de certaines coccinelles. On l’observe même in utero chez quelques espèces de requins vivipares, comme le requin-tigre. Mais la pratique la plus émouvante reste la matriphagie. « Chez des araignées comme Amaurobius ferox ou Stegodyphus lineatus, indique Marie Trabalon, la mère se laisse manger par ses petits« . Une façon radicale de nourrir sa progéniture et d’assurer ainsi l’avenir de ses gènes !

L’apoptose : un suicide pour la bonne cause

Le mécanisme de l’apoptose (du grec apo, « au loin » et ptosis, « chute »), décrit et nommé pour la première fois par une équipe australo-écossaise en 1972, correspond à un processus d’autodestruction programmée de certaines cellules. Elle permet par exemple le renouvellement de l’épiderme ou de l’épithélium intestinal, en équilibre avec la prolifération cellulaire. Mais l’apoptose joue un rôle bien plus étonnant au cours du développement.

Provoquée de manière contrôlée, orchestrée, elle sculpte les tissus et donne leur forme aux organes. « On a compris par exemple dans les années 1990 que la main des vertébrés prend sa forme par l’élimination programmée des cellules situées entre les doigts, raconte Magali Suzanne, du Centre de biologie intégrative de Toulouse. Notre équipe a montré, depuis, que l’apoptosedonne leur forme aux organes non seulement de manière passive, en éliminant de la matière comme le fait un tailleur de pierre, mais aussi de manière active. Car en mourant, la cellule apoptotique se contracte et exerce sur ses voisines des forces qui ont pour effet de plier les tissus. Nous avons mis en évidence le rôle de ce mécanisme dans la formation de plis au cours de la morphogénèse des articulations de la patte chez la mouche drosophile et, plus récemment, dans le repliement du tube neural (le système nerveux embryonnaire) chez des cailles et des poulets.« 

Des bulles se forment sur la membrane de la cellule en cours de suicide. Elles s'en détacheront et seront phagocytées par d'autres cellules.

Des bulles se formentsur la membrane de la cellule en cours de suicide. Elles s’en détacheront et seront phagocytées par d’autres cellules. Crédits : SPL/SUCRÉ SALÉ

Par Pierre Vandeginste

Source: Sciencesetavenir.fr
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