Rapport du Giec : pourquoi l’adaptation au changement climatique devient une urgence absolue

Les impacts de la hausse de la température de la planète sont déjà très visibles sur les écosystèmes et les activités humaines. S’y adapter devient une urgence absolue, affirment les auteurs du rapport du Giec sur l’adaptation publié ce 28 février 2022.

Giec

Les scientifiques ont identifié 127 risques issus du changement climatique comme par exemple l’érosion des littoraux, les pertes de rendement des cultures, les diverses atteintes à la santé humaine.

SANDRINE MARTY / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP

Après le rapport sur l’état des connaissances sur le climat de la Terre et ses changements en cours remis en août 2021 et avant celui sur les actions d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre prévu pour avril, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a publié le 28 février 2022 l’état des connaissances sur l’impact de la hausse des températures sur les écosystèmes et les activités humaines. Ce sixième rapport d’évaluation (AR6) marque une rupture par rapport au cinquième paru en 2014. Il y a huit ans, les climatologues estimaient prudemment que les impacts pouvaient déjà avoir affecté le fonctionnement écologique de la planète. C’est désormais pour les scientifiques une certitude notamment grâce aux travaux du World Weather Attribution. « Les impacts profonds, largement répandus sur les écosystèmes, les humains, les habitats et les infrastructures résultent d’une augmentation constatée de la fréquence et de l’intensité des extrêmes climatiques, dont les canicules sur terre et en mer, les précipitations intenses, les sécheresses et incendies. Depuis le cinquième rapport, ces impacts ont été attribués avec certitude au changement climatique induit par l’Homme », écrivent les chercheurs.

Pourtant, la hausse des températures n’est aujourd’hui que de 1,1°C depuis 1850. Qu’en sera-t-il à 2°C, voire 2,7°C à la fin du siècle, le seuil qui serait atteint si les 195 Etats remplissaient les insuffisantes promesses faites à la COP26 en novembre 2021 à Glasgow ? Les scientifiques ont identifié 127 risques issus du changement climatique comme par exemple l’érosion des littoraux, les pertes de rendement des cultures, les diverses atteintes à la santé humaine. Leur conclusion est sans appel : il est grand temps d’agir et tout retard se traduira en augmentation des pertes et dommages.

La biodiversité

Dans le langage du Giec, c’est avec une « haute confiance » que les chercheurs peuvent affirmer que le changement climatique a causé des dommages substantiels et des pertes irréversibles aux écosystèmes d’eau douce continentale, aux zones marines littorales et à la haute mer. Les chercheurs sont également désormais certains que la hausse des températures est à l’origine de vastes détériorations des structures des écosystèmes et de leurs fonctions, de leur capacité naturelle à s’adapter ainsi que d’une modification des saisons. Les plantes germent et fleurissent plus tôt, et pour retrouver leurs températures idéales, les animaux se déplacent vers des zones plus septentrionales ou montent en altitude. Des canicules plus fréquentes ont provoqué des mortalités massives et des milieux de grands intérêts économiques et patrimoniaux comme les forêts de kelp (algues géantes) et les coraux subissent des pertes qui pourraient bien être irréversibles. « Ce rapport reconnait l’interdépendance du climat, des écosystèmes, de la biodiversité et des sociétés humaines et il intègre ces connaissances plus étroitement à travers les sciences naturelles, écologiques, sociales et économiques« , écrivent les auteurs. Le fait qu’il y a actuellement une convention onusienne sur le climat et une autre sur la biodiversité (qui doit se réunir en avril 2022 en Chine) n’a plus grand sens.

L’alimentation

C’est avec de fortes certitudes que le Giec peut désormais affirmer que le changement climatique a affecté la sécurité alimentaire. Après des décennies d’augmentation des rendements des principales cultures, les températures plus élevées ont ralenti ces progrès, voire les ont stoppé comme c’est le cas pour le blé en France depuis le milieu des années 1990. Certaines régions situées plus près des pôles ont cependant profité de la hausse des températures et d’une plus grande teneur de CO2 favorisant la photosynthèse pour constater une augmentation de ces rendements. « Cependant, une atmosphère élevée en CO2 réduit la teneur nutritive des cultures », pondère Delphine Deryng, chercheuse et co-auteure du rapport. Mais globalement, le bilan est négatif. De plus hautes températures provoquent par ailleurs un appauvrissement des sols. L’acidification des océans a affecté la production des élevages de coquillages et les eaux plus chaudes ont contraint nombre d’espèces de poissons à migrer vers des eaux plus froides, affectant les pays les pays tropicaux au profit des zones tempérées et froides. Les évènements extrêmes (sécheresses et inondations) frappent de plus en plus fortement les zones intertropicales dépendant d’une saison des pluies qui sont aussi les plus pauvres de la planète. Ces pertes de récolte ont déjà provoqué chez les populations affectées une diversité plus faible des aliments disponibles. « A 2°C de hausse, les risques sur la sécurité alimentaire vont être plus sévère, provoquant de la malnutrition et des déficiences en nutriment concentrées en Afrique sub-saharienne, Asie du Sud, Amérique centrale et latine et dans les petites îles« , estiment les auteurs.

L’eau

La disponibilité en eau est menacée pour plus de la moitié de l’humanité. Avec une hausse de 2°C, l’eau provenant de la fonte de la neige disponible pour l’irrigation devrait diminuer de 20% dans les bassins fluviaux alimentés par les chutes hivernales en montagne, un phénomène accentué par la perte de masse des glaciers estimée à 18% à 2°C. Dans les petites îles, les réserves souterraines sont déjà menacées par le changement climatique. Globalement, les perturbations du cycle de l’eau faisant alterner précipitations exceptionnelles avec périodes de sécheresse devraient affecter la plupart des bassins versants à moyen terme. Les dommages provoqués par les inondations pourraient être multipliés par deux à 2°C, par 3 à 3°C par rapport aux dégâts déjà constaté aujourd’hui.

La santé

Les maladies mais aussi les décès prématurés ont déjà augmenté et ce phénomène va perdurer sur le moyen et long terme. L’exposition aux vagues de chaleur va croître, notamment en Europe où les canicules vont provoquer de plus en plus de morts. Les maladies vectorielles vont se diffuser du fait de l’augmentation de l’aire de répartition des moustiques vecteurs. C’est le cas de la dengue notamment dont on constate aujourd’hui de sporadiques survenues sur le territoire français. Des milliards d’Hommes dans le monde vont être exposés à ce risque sanitaire. Les chercheurs s’attendent également à une croissance des cas de pathologies mentales, et notamment une hausse du stress et de l’anxiété chez les enfants, les adolescents et les plus âgés.

Les littoraux

La hausse du niveau des mers du fait de la fonte des glaciers de l’Arctique, de l’Antarctique et des massifs montagneux menace les littoraux les plus bas. Globalement, la population mondiale susceptible d’être affectée par la hausse du niveau des mers va dépasser le milliard d’individus au milieu du siècle. Avec une hausse de 15 centimètres de plus que le niveau actuel, c’est 20% des populations riveraines qui sont susceptibles d’être affectées par des inondations. Cette hausse pose un problème existentiel aux petites îles qui sont déjà affectées par des inondations récurrentes. Les premiers réfugiés climatiques ont déjà demandé asile pour cette raison. En 2100, le rapport estime que les dégâts provoqués par le niveau des mers pourraient coûter autour de dix trillions de dollars (milliards de milliards) pour la construction d’ouvrages de protection et de déménagements de villes entières.

L’économie

Les experts du Giec le reconnaissent : il est difficile de faire une estimation des pertes occasionnées par les destructions de biens. Cela dépend du niveau de développement des Etats frappés, de l’ampleur de la catastrophe et de la part que l’on peut attribuer au changement climatique par rapport à un aléa météo naturel. De plus, les méthodes comptables ne sont pas les mêmes. Mais les travaux menés notamment sur la tempête Sandy à New York en 2012 présentent des chiffrages en dizaines de milliards de dollars. Les dommages économiques sont présumés être beaucoup moins importants à 1,5°C qu’à 3°C.

Les solutions

Le Giec rappelle que les solutions existent. Des techniques de lutte contre les dommages existent. Les systèmes d’alerte météo ont épargné des millions de vies et les protections des biens sur les littoraux ont démontré leur pertinence. De même, la prise en compte du risque climatique dans la construction de bâtiments et d’infrastructures permet de réduire les dommages. Mais il faut pour cela beaucoup d’argent et le Giec regrette ainsi que les sommes allouées au niveau international à l’adaptation ne soient pas à la hauteur des enjeux. Les chercheurs préviennent également contre les dangers que fait courir la « maladaptation ». Des solutions mises en œuvre peuvent se révéler pires que le mal. C’est ainsi le cas sur certains littoraux d’ouvrages de protection qui accélèrent l’érosion des rivages. Le Giec appuie donc les « solutions fondées sur la nature », qui prennent en compte le fonctionnement des milieux pour s’y adapter.

Source: Sciencesetavenir.fr
laissez un commentaire