Question de la semaine : dans l’histoire de l’évolution, existe-t-il des espèces animales qui sont passées de la terre à l’eau ?

Les animaux sont sortis de l’eau pour évoluer, mais existe-t-il des espèces qui y sont entrées pour améliorer leur évolution ? C’est la question qu’un lecteur nous pose.

Baleine à 4 pattes

Les ancêtres des baleines vivaient sur Terre, ce spécimen éclaire sur la transition vers le retour à l’eau des cétacés.

A. Gennari

« Les animaux sont sortis de l’eau pour évoluer, mais existe-t-il des espèces qui y sont entrées pour améliorer leur évolution ? », nous demande David Posth-Kohler sur la page Facebook de Sciences et Avenir. C’est notre question de la semaine. Merci pour toutes vos questions et vos échanges.

Avant d’aborder la question du retour à l’eau de certaines espèces, précisons que l’Evolution telle qu’on la conçoit aujourd’hui est une théorie proposée par Charles Darwin, il y a plus de 150 ans. Et qui, depuis, a été enrichie et confirmée par de nombreux travaux scientifiques et hypothèses complémentaires. Elle n’est pas vue comme un processus conscient, les animaux et a fortiori les végétaux n’agissent pas pour « améliorer » leur évolution. C’est un phénomène continu et inconscient qui fait qu’au sein d’une espèce et notamment par un processus de mutation génétique et de sélection naturelle, les individus les mieux adaptés à leur environnement se reproduisent en plus grand nombre et transmettent à leurs descendants ces adaptations favorables qui deviennent finalement la norme, pour un temps. Jusqu’à ce que de nouvelles conditions induisent une pression environnementale qui va favoriser d’autres caractères et ainsi de suite.

L’évolution d’une espèce s’étale sur des millions d’années mais peut parfois être accélérée, brutale, par exemple en cas de catastrophes naturelles et de changements drastiques des écosystèmes comme l’ont décrit Stephen Jay Gould et Niles Eldredge dans leur théorie des équilibres ponctués. Cela implique que toutes les espèces actuelles descendent d’espèces plus anciennes, d’ancêtres communs et la paléontologie avec l’analyse des fossiles ainsi que la phylogénétique avec l’analyse de l’ADN permettent de les identifier. Ces deux méthodes nous ont permis de comprendre que certaines espèces qui vivent actuellement dans l’eau avaient des ancêtres terrestres. C’est le cas de plusieurs animaux mais aussi des plantes aquatiques. Pour cette fois, nous nous cantonnerons aux animaux.

Tout a commencé dans l’eau

Sur Terre, la vie est apparue dans l’eau. Quand et comment ? L’histoire n’est pas encore bien claire et les chercheurs en débattent toujours mais ils s’accordent à dire qu’elle remonte à plus de 3,5 milliards d’années voire à près de 4,1 milliards d’années pour certains. Elle s’est ensuite stabilisée pendant un long moment dans l’eau à l’exception de quelques bactéries qui se seraient aventurées sur la terre il y a 3,48 milliards d’années. Mais la véritable « sortie des eaux » s’est produite beaucoup plus tard, il y a environ 450 millions d’années. C’est à ce moment que les premiers animaux (mollusques, arthropodes et vertébrés) sont partis à la conquête des continents, selon l’expression consacrée. Cela ne s’est pas produit en un seul coup, et il y a eu des dizaines de sorties des eaux, réparties sur une longue période de temps. La plupart des animaux qui ont découvert la terre ferme s’y sont adaptés (là-aussi de façon inconsciente par le jeu des mutations génétiques) mais certains sont secondairement retournés à l’eau.

Les premiers à avoir fait le voyage dans le sens inverse, de la terre vers la mer

Les premiers à avoir fait le voyage dans le sens inverse, de la terre vers la mer, sont les reptiles avec les tortues (de mer), les ichtyosaures, les plésiosaures, les mosasaures, les crocodiles et certains squamates dont de nombreux serpents qui sont devenus marins. A l’exception des serpents qui ont perdus leurs pattes sur terre avant de retourner en mer, les autres reptiles ont conservé leurs attributs les plus emblématiques de leur passé terrestre, à savoir les pattes. C’est également le cas des mammifères marins comme les loutres (dont une seule espèce vit en mer, les autres vivant en eau douce). Chez les pinnipèdes (morses, otaries et phoques) les transformations sont plus importantes : les pattes avant ont pris la forme de nageoire. Même chose chez les siréniens (lamantins et dugong) qui ont eux, en plus, perdus leurs pattes arrières. Mais les transformations les plus radicales se retrouvent chez les cétacés qui se sont tellement adaptés à l’eau qu’il est difficile de les différencier des espèces qui ne l’ont jamais quittée : requins et dauphins ont presque la même allure.

Le cas emblématique de la baleine

Parmi les cétacés, ce sont sans doute les baleines qui suscitent le plus d’engouement. Comprendre leur histoire, c’est partir à la recherche de leur plus ancien ancêtre terrestre. Il vivait sans doute entre l’Inde et le Pakistan il y a environ 50 millions d’années, au début de l’Éocène. Soit 15 millions d’années après la catastrophe qui a mis fin au règne des dinosaures mais aussi à celui des prédateurs marins géants qui dominaient les océans. La place était donc libre pour de nouveaux venus. Et c’est Pakicetus qui s’est jeté à l’eau. Il est considéré comme le premier des cétacés et avait l’allure d’un gros loup munis de sabots comme les ongulés. S’il passait une grande partie de sa vie sur Terre, il pouvait aussi faire trempette et ses descendants comme Ambulocetus (-48 Ma) ont commencé à y passer de plus en plus de temps. De l’autre côté du Pacifique, au Pérou, on a récemment découvert Peregocetus pacificus, un animal totalement amphibie qui vivait il y a 42,6 Ma. Sans doute l’un des derniers à s’aventurer encore sur la terre ferme. Il semble en effet qu’à partir de 41,2 millions d’années en arrière, les cétacés ont perdu la capacité de s’y déplacer.

Squelettes de Pakicetus (en bas) et de Ambulocetus (en haut). Crédit : Thewissen-Lab, NÉOMED

La capacité de marcher n’était plus là mais les pattes postérieures étaient elles encore bien en place ! Elles ont disparu bien plus tard, il y a environ 35 millions d’années. Entre la première rentrée dans l’eau et leur disparition, les membres inférieurs sont devenus de plus en plus petits, tout en conservant la même anatomie que les pattes de l’ancêtre terrestre. Une évolution qui résulterait de l’accumulation lente et progressive de mutations génétiques influençant le développement des membres au cours de la période fœtale. Mais brusquement, une molécule impliquée dans le développement des membres, la protéine ‘’Sonic hedgehog’’ (Shh) aurait été inactivée ce qui aurait abouti à la disparition totale des membres inférieurs. De nombreux autres changements ont facilité la vie marine des cétacés, ils impliquent des pertes de gènes comme ceux codant pour le développement des poils ou la production de salive.

Au final, les cétacés ont réussi à se réadapter parfaitement au milieu aquatique duquel leurs très lointains ancêtres étaient sortis des centaines de millions d’années avant eux ! Ils ont connu une belle réussite sous l’eau et ont prospéré jusqu’à ce que de nouvelles menaces, essentiellement liées aux activités humaines, fassent courir le risque de voir de nombreuses espèces disparaître.

Source: Sciencesetavenir.fr
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