Premières urgences : soigner du mieux possible dans un hôpital public à genoux

Le film documentaire Premières urgences, en salle le 16 novembre 2022, nous plonge dans le service des urgences de l’hôpital Delafontaine durant le premier semestre de cinq internes au sein de cette spécialité. Un condensé de l’état de délabrement de l’hôpital public en deux heures.

Premières urgences

Amin (à gauche) apprend à suturer une plaie aux urgences.

Haut et court

Ils sont jeunes, motivés et arborent fièrement leur stéthoscope autour du cou. Premières urgences, le nouveau film du réalisateur Eric Guéret qui sort en salle le 16 novembre 2022, suit le parcours de cinq internes en médecine fraîchement entré dans leur parcours de formation. Ils passent pour la première fois un semestre aux urgences de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), qui ont la particularité d’accueillir également des urgences psychiatriques en plus des autres malades. Toutes les pathologies et traumatismes y sont traités. L’hôpital Delafontaine est situé, comme la moitié du territoire français, dans un désert médical. Installé au cœur d’une région fortement frappée par la pauvreté, cet hôpital est pour beaucoup de ses habitants l’unique accès aux soins. Derrière les portes vitrées des urgences, Amin, Hélène, Evan, Lucie et Mélissa, âgés de 22 à 25 ans, sont là pour les soigner. Ils sortent de la faculté de médecine de Bobigny, à quelques kilomètres de l’hôpital. Mais dès les premières heures passées dans la structure, ils vont se heurter au manque de personnel, de lits disponibles pour les malades, au matériel abîmé et à la violence.

« On fait de la médecine dégradée »

Qui a déjà regardé un reportage ou un documentaire sur l’hôpital a déjà vu de telles scènes. Les brancards dans les couloirs, le personnel de santé au bord du craquage et les patients à bout de nerfs. Depuis 2020, les services de santé ont un fardeau de plus : le Covid-19, qui vient surcharger encore plus un accueil des malades déjà saturé. Premières urgences montre les internes batailler parfois jusqu’à deux heures au téléphone pour réussir à transférer un patient dans un autre établissement de la région via un logiciel informatique qui semble archaïque. « On fait de la médecine dégradée, on n’a pas le choix« , tonne régulièrement le chef du service, le Dr Mathias Wargon, qui se désole, tout comme son équipe, que « les hôpitaux doivent aujourd’hui être rentables alors que la santé ne sera, par définition, jamais rentable. »

Les cinq jeunes médecins suivis dans ce film devront composer, parfois seuls, pour rédiger leurs premières ordonnances, annoncer un diagnostic difficile à entendre, accompagner une femme battue, s’adapter à une population de malades parfois SDF, parfois instables psychologiquement, parfois les deux. Car si Eric Guéret a choisi de poser ses caméras à l’hôpital Delafontaine, c’est pour sa valeur d’exemple. « La SeineSaintDenis fait face comme tous les grands centres urbains périphériques à la paupérisation de sa population, à l’arrivée de populations migrantes, à la solitude des personnes âgées et à toutes les fragilités sociales que l’hôpital doit gérer« , explique le réalisateur. Le film prend la forme, en creux, d’un témoignage sur l’état de détérioration d’une des institutions clé de notre société : l’hôpital, où chacun, peu importe qui il est, a le droit d’être soigné.

La chaleur humaine dans le tumulte

En quelques scènes à peine, on comprend que cette mission d’accueil et de soin est de plus en plus dure à être assurée. Depuis 2013, chaque année, environ 1% des lits aux urgences sont supprimés, selon Le panorama des établissements de santé 2022 du ministère de la Santé. Fin 2020, la capacité d’accueil de ces établissements est de 387.000 lits d’hospitalisation complète, soit environ 100.000 de moins qu’il y a une vingtaine d’années. En 2021, 4.300 lits ont été supprimés. Les effectifs, eux aussi, n’ont cessé de baisser jusqu’au point de non-retour au moment de la pandémie de Covid-19. Leur taux de croissance annuel passe de +1,6 % fin 2010 à -0,4 % fin 2018, avant de connaître un léger rebond en 2020 (+1,9 %, soit +20.100 salariés), rendu nécessaire par la crise sanitaire. « Des services entiers dont des urgences,ont dûêtre fermés cet été [2022, ndlr] parce qu’il n’y avait personne pour les faire tourner. C’est une première. Sans l’engagement de tous, des médecins aux aidessoignantes en passant bien évidemment par les infirmières, rien ne peut fonctionner« , explique le réalisateur Eric Guéret.

Bien au-delà d’un documentaire sur cinq jeunes médecins, Eric Guéret propose surtout un portrait du délabrement de l’hôpital public, maintenu par l’humanité et la vocation d’un personnel qui reste malgré sa souffrance. « Je cherche à savoir si leur vocation résistera à l’état de l’hôpital public qu’ils vont découvrir« , explique le réalisateur. Les mois passent dans ces couloirs où le soleil ne perce jamais. Seuls les arbres à l’entrée de l’établissement témoignent des saisons qui passent. La force du film tient aux histoires qu’il parvient à capter dans ce tumulte où seule la chaleur humaine donne une lueur d’espoir.

Source: Sciencesetavenir.fr
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