Pourquoi nous n’entendons pas les sons sous anesthésie générale

Lorsque nous sommes endormis sous anesthésie générale, les neurones dédiés au son s’activent. Et pourtant, nous n’entendons rien. Une équipe de l’Institut Pasteur vient de découvrir pourquoi.

Homme sous anesthésie générale

Sous anesthésie générale, les sons ne sont pas perçus par le cerveau.

PIXABAY

Il ne s’agit ni d’une forme de sommeil, ni d’un coma. L’anesthésie est un état de conscience, ou plutôt d’inconscience, encore mal connu. En effet, le cerveau ne s’éteint pas sous anesthésie et continue à avoir une activité significative. Pourtant, nous ne percevons rien de ce qui nous entoure, pas même les sons du bloc opératoire ou les conversations entre soignants. Si ces paramètres sont longtemps restés mystérieux, une équipe de l’Institut Pasteur vient de publier des résultats dans Nature Neuroscience, qui lèvent le voile sur la façon dont notre cerveau réagit aux sons lorsque nous sommes anesthésiés.

L’anesthésie générale, chargée de nous plonger dans un état inconscient, n’empêche pas les neurones de s’activer. Et notamment les neurones du cortex auditif, stimulés par des sons. Si les mécanismes de réception des sons d’un point de vue auditif, par l’oreille, sont aujourd’hui bien compris, on ne sait pas encore exactement pourquoi ils sont perçus et interprétés ou non par le cerveau. Les neurosciences de l’audition n’ont pas encore réussi à déterminer pourquoi nous ne percevons pas les sons pendant le sommeil ou lors d’une anesthésie. Si le cortex auditif s’active, pourquoi les sons ne sont-ils pas perçus ?

Noyé dans un « bruit de fond » neuronal

« Lors d’une anesthésie, plusieurs molécules sont administrées au patient. Elles induisent une analgésie, c’est-à-dire un blocage des récepteurs de la douleur ainsi qu’une perte de conscience. Tout ce qui se passe ne sera pas consciemment perçu. On ne se souviendra pas des événements. C’est un état différent du coma, qui est beaucoup plus profond et sans réveil. Ce n’est également pas apparenté au sommeil, dans la mesure où un stimulus extérieur, comme un bruit, peut nous réveiller« , explique à Sciences et Avenir Brice Bathellier, chercheur à l’Institut de l’Audition (centre de l’Institut Pasteur) et auteur de ces travaux.

Jusqu’à présent, ces questions n’avaient aucune réponse. Les seules mesures d’activités neuronales disponibles ne renseignaient que sur l’activité d’un neurone ou de petits ensembles de neurones enregistrés isolément au sein des immenses réseaux de neurones qui constituent le cortex. En observant des cerveaux de souris, l’équipe a pu comparer l’activation des neurones à l’état d’éveil et sous anesthésie. Au moment de l’éveil, lorsqu’un son retentit, les neurones dédiés à l’ouïe s’activent dans le cortex auditif. Ces neurones ont une activité tout à fait distincte des neurones qui s’activent spontanément pour assurer le reste de nos fonctions. En revanche, sous anesthésie, au moment où un son retentit, ce ne sont pas exactement les mêmes neurones auditifs qui s’activent. Au même moment, d’autres neurones s’activent spontanément, brouillant en quelque sorte les pistes. « Cela crée une sorte de bruit de fond qui noie la perception auditive et qui la rend indétectable« , complète Brice Bathellier. La réponse se confond avec l’activité interne propre au cerveau.

Le cerveau éveillé, plus « créatif » que le cerveau anesthésié

Pour réussir à mener à bien cette recherche, l’équipe s’est servie d’une technique d’imagerie de pointe : la microscopie multiphotonique, qui permet de voir l’activité de 1.000 neurones en parallèle, non pas par IRM mais grâce à la microscopie, à travers les tissus. « Nous utilisons pour cela la thérapie génique. Un virus modifié et inactivé est injecté dans le cerveau. Porteur d’un code génétique, ce virus va rendre les protéines du cerveau fluorescentes grâce à la GFP (« green fluorescent protein« , en français « protéine fluorescente verte », ndlr), qui a la particularité de s’attacher aux molécules de calcium. Or, lorsqu’un neurone a un potentiel d’action (signal électrique, ndlr), il se charge en calcium, ce qui donne un signal fluorescent« , explique Brice Bathellier. Cette technique, qui peut éventuellement causer des dommages sur le sujet, n’est utilisée que chez l’animal pour cette raison.

Ces résultats inédits permettent aussi, en miroir, de mieux comprendre comment nous percevons les sons à l’état d’éveil. « Pour bien observer la réponse du cerveau à un stimulus particulier, mieux vaut contrôler l’environnement et le sujet. Nous sommes entourés de tant de stimuli que la tâche serait très difficile. D’où le recours à l’anesthésie« , précise le chercheur qui s’attendait à ce que les réponses entre l’éveil et l’anesthésie soient relativement similaires. Finalement, ces résultats indiquent qu’une des conditions de la perception consciente est que le cortex puisse activer des groupes de neurones distincts de ceux qui sont activés spontanément. Eveillé, le cortex est en quelque sorte plus « créatif« , puisqu’il se montre capable de générer des motifs d’activité nouveaux et spécifiques en réponse aux sons. Ce dont il est incapable pendant l’anesthésie.

Source: Sciencesetavenir.fr
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