L’Allemagne va abroger un article de loi passéiste sur l’IVG, sans toutefois la dépénaliser

Un projet de loi vise à abroger l’article 219a du Code pénal allemand, qui interdit la publicité pour l’IVG. Cette mesure est insuffisante, jugent cependant les journalistes allemandes, qui demandent la dépénalisation définitive de l’avortement.

Marco Buschmann

Marco Buschmann, le ministre de la justice Allemand a publié un projet de loi visant à abroger l’article 219a du Code pénal, un texte fortement controversé qui interdit la publicité pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

KAY NIETFELD / DPA / dpa Picture-Alliance via AFP

Vers l’abrogation de l’article 219a du code pénal allemand 

Le 25 janvier 2022, le ministre allemand de la Justice, Marco Buschmann (FDP, parti des Libéraux), a publié un projet de loi visant à abroger l’article 219a du Code pénal, un texte fortement controversé qui interdit la publicité pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG). En Allemagne, les médecins tombent en effet sous le coup de la loi s’ils fournissent au public des informations relatives au déroulement ou aux méthodes employées pour pratiquer une IVG, précise l’hebdomadaire Die Zeit. Une situation qui « ne correspond plus à notre époque« , a déclaré le ministre, le plus important étant que les femmes puissent obtenir « la meilleure information possible » et qu’elles puissent également librement choisir leur médecin. Cette abrogation ne permettra en aucun cas de faire la promotion de l’IVG, rassure-t-il, car le droit médical exclut déjà cette éventualité.

La suppression de l’article 219a était prévue dans le traité de coalition, et grâce à elle, le ministre de la Justice pense rétablir « le droit à l’autodétermination de la femme« . Les journalistes allemandes qui ont commenté ce projet de loi jugent cependant que cette seule décision est largement insuffisante. Pour délivrer les femmes allemandes de la tutelle juridique concernant des décisions relatives à leur corps, il faudrait aller bien plus loin et supprimer également le fameux article 218, qui définit l’avortement comme un crime depuis plus de 150 ans.

Selon l’article 218 du Code pénal allemand, l’interruption de grossesse est par principe illégale, mais non punissable sous certaines conditions. Ainsi, une femme peut prendre la décision de recourir à cette intervention au cours des 12 premières semaines de grossesse, après avoir obtenu conseil auprès d’une instance médicale et sur présentation d’un certificat de consultation. En outre, l’avortement est non punissable après expiration du délai de 12 semaines s’il y a danger de mort pour la femme enceinte, ou si elle risque de subir des dommages physiques ou psychiques. Selon l’Office fédéral des statistiques, 100.000 interruptions volontaires de grossesse ont eu lieu en Allemagne en 2020.

Une épée de Damoclès pesait sur les médecins

Comme le rappelle la chaîne de radio Deutschlandfunk, l’article 219a, en vigueur depuis 1933, a suscité ces dernières années de vives oppositions dans la société allemande, avec pour seul résultat une légère modification en 2019. Depuis lors, les médecins sont autorisés à informer qu’ils pratiquent des IVG (ce qui était impossible auparavant), mais sans pouvoir donner d’autres précisions ni sur les méthodes, ni sur les risques de l’intervention , car ces données sont considérées comme de la promotion. Cette interdiction ne s’applique cependant qu’aux personnes qui retirent un avantage financier de l’IVG, ce qui implique que tout individu n’exerçant pas la médecine est autorisé à s’exprimer publiquement sur l’avortement.
De fait, la modification de 2019 n’avait rien changé à la situation des médecins, qui continuaient de vivre avec « une épée de Damoclès » au-dessus de la tête, par crainte de poursuites judiciaires. En 2019, deux gynécologues ont d’ailleurs été condamnées peu après la modification de l’article 219a pour avoir mentionné sur le site Internet de leur cabinet qu’elles pratiquaient l’IVG « médicamenteuse et sans anesthésie » dans « une atmosphère protégée« . Les médecins vont donc désormais être délivrés de ce poids, se réjouit la gynécologue Kristina Hänel, qui a elle-même été condamnée en 2017 pour infraction à ce même article. Cela signifie également que les femmes vont enfin être prises au sérieux « en tant qu’adultes qui doivent pouvoir s’informer« . Cependant, le besoin de réforme va au-delà de l’article 219a, ajoute-t-elle : il faudrait également dépénaliser le paragraphe 218, réduire les délais d’attente et supprimer l’obligation de conseil. Car toutes ces procédures font perdre un temps précieux et mettent ainsi en danger la santé des femmes.

L’information doit être délivrée par des spécialistes

Pour le ministre de la Justice Marco Buschmann, l’abrogation de l’article 219a vise également à laisser entre les mains des spécialistes qualifiés la diffusion d’informations sur l’IVG. Mais les opposants à l’abrogation ont aussitôt répliqué à cette justification. C’est le cas tout particulièrement de la députée de la CDU Elisabeth Winkelmeier-Becker, présidente de la commission juridique du Bundestag, qui récuse dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung l’argument du déficit d’information. Il suffit en effet de quelques clics sur Internet pour accéder sans aucune limite à toutes les informations sur l’IVG, affirme-t-elle, que ce soit auprès des caisses d’assurance-maladie, sur les sites d’information médicale ou sur celui du planning familial. En supprimant l’article 219a, on prend ainsi le risque de banaliser l’intervention et de la mettre au même niveau qu’une chirurgie esthétique ou une opération laser des yeux. S’attendant à voir bientôt fleurir, sur Internet comme dans le métro, les publicités pour des cliniques pratiquant l’avortement, elle souhaite le maintien de l’article 219a, car « le droit doit exprimer que l’avortement porte atteinte à la dignité et au droit à la vie de l’enfant qui n’est pas encore né« .

Il faut aller plus loin en dépénalisant complètement l’avortement

Les journalistes allemandes qui ont commenté l’annonce du ministre de la Justice sont unanimes, toutes tendances confondues : la seule abrogation de l’article 219a n’aura que peu d’effet. Dans le quotidien de la gauche alternative Tageszeitung, Patricia Hecht constate ainsi que l’Allemagne persiste à ne pas tenir compte des remontrances énoncées par les Nations unies, qui lui reprochent des procédures préliminaires à l’avortement trop restrictives. Il faut donc espérer que seront bientôt mises en application les prochaines décisions également promises par le traité de coalition la reconnaissance de l’IVG comme un soin de base et sa gratuité , qui doivent être considérées comme « d’importants petits pas vers la dépénalisation« . Mais, pour ce qui est de l’abolition du paragraphe 218, le doute plane, reconnaît-elle, car pour le moment, seule une commission chargée d’examiner cette possibilité est prévue. Elle en conclut que les femmes allemandes n’ont donc toujours pas le droit de disposer de leur propre corps.


Pour la journaliste du Spiegel Sophie Garbe, la criminalisation de l’avortement en Allemagne correspond à une conception « grossière » de la femme, jugée incapable de prendre une décision réfléchie. Mais il faut comprendre qu’en multipliant les obstacles, ces articles de loi nuisent en réalité à la politique familiale du pays. Il faudrait donc la remettre entièrement à plat, avec l’objectif de créer de bonnes conditions pour que les femmes puissent avoir des enfants. Cette politique familiale commence par la contraception, car l’on sait que les femmes ayant le moins de ressources y renoncent plus souvent et recourent plus souvent à l’IVG que les autres. Et puisque le gouvernement nourrit de grandes ambitions de libéralisation, voici un défi qu’il devrait s’attacher à relever, lance-t-elle avec ironie : avant de vouloir légaliser le cannabis, il est sans doute plus important de rendre la contraception gratuite et de dépénaliser l’avortement.


Le même écho se fait entendre jusque dans le quotidien conservateur Welt, où Luisa Hofmeier récuse les propos d’Elisabeth Winkelmeier-Becker, symptomatiques, à ses yeux, de la pensée paternaliste de la CDU. Les arguments de la députée montrent combien les « forces conservatrices » continuent de « dénier implicitement aux femmes la capacité d’appréhender les multiples facettes de la gravité d’une décision et ce, bien qu’elles doivent se faire conseiller avant un avortement« , analyse la journaliste. L’heure est pourtant importante, car l’abrogation de l’article 219a fait entrer la femme dans le groupe des humains raisonnables et responsables, « capables de prendre des décisions moralement et éthiquement difficiles » pleinement conscients de « leur responsabilité vis-à-vis de la vie en devenir« . Mais si le gouvernement veut véritablement aller dans ce sens, il va falloir faire beaucoup plus, avertit-elle, car le déficit en matière de soins est alarmant. En Bavière par exemple, selon la liste officielle établie par l’Ordre fédéral des médecins, seuls huit cabinets pratiquent l’IVG. Sans action supplémentaire, la suppression de l’article 219a n’aura donc aucune valeur.

Source: Sciencesetavenir.fr
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