La vraie addiction aux écrans reste rare, mais la moitié de la population aurait un usage problématique

Près de la moitié de la population aurait un usage problématique des écrans, mais moins de 2% y seraient vraiment addicts, estime une étude française. Pour ces travaux, les chercheurs ont adapté une liste de critères définissant l’addiction aux écrans.

Addiction aux écrans

Une addiction est d’abord définie par la perte de contrôle, et non le seul temps d’usage.

Fanatic Studio / Gary Waters / SCIEN / FST / Science Photo Library via AFP

L’addiction aux écrans est une réalité sur le plan médical, affirme une équipe d’addictologues et de chercheurs entre la région bordelaise et l’université de Columbia (New York). D’après leurs travaux publiés dans le Journal of Medical Internet Research, 1,7% de la population rassemble les critères de ce type d’addictions, tandis que près de la moitié (44% !) ont un usage « gênant » de leurs écrans. De quoi inciter à promouvoir des bonnes pratiques. 

Pourquoi parler d’addictions aux écrans est pertinent 

« Nous avons des patients qui viennent nous voir parce qu’ils ont un usage déraisonné des écrans », témoigne l’addictologue Marc Auriacombe, qui a dirigé ces nouveaux travaux, auprès de Sciences et Avenir. Si l’addiction aux jeux vidéo a bien été reconnue par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en juin 2018, il reste difficile de définir l’addiction aux écrans en général. “Certains disent que parler d’addictions aux écrans et pas à ses usages (jeux, réseaux sociaux, etc) revient à parler d’addiction au verre plutôt qu’à l’alcool. Mais plus que de l’alcool, on boit un kir, une vodka, du vin, etc. De même, quand nous parlons d’écran nous ne parlons pas de l’objet, mais de la connexion à internet à portée de main qu’il contient », précise Marc Auriacombe. 

Une analyse partagée par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). « Les supports numériques – smartphones, consoles de jeu, ordinateurs – s’avèrent interchangeables pour satisfaire à la fois aux objectifs de jeu ou de communications des utilisateurs« , explique à Sciences et Avenir Carine Mutatayi, chargée d’études et référente prévention à l’OFDT. « Ce contexte érode la pertinence d’une typologie par support numérique ou type d’usage« . En clair, alors que les réseaux sociaux permettent aussi de jouer et que les jeux comportent des espaces de discussion, et quand d’une simple pression du doigt nous passons d’une recherche internet à une discussion familiale, il devient impossible de séparer chaque usage pour en évaluer l’addictivité. 

Neuf critères basés sur l’addiction aux jeux vidéo 

Reste à définir médicalement l’addiction aux écrans. Qu’elle concerne une substance ou un comportement, une addiction est définie par une accumulation de critères parmi une liste définie par des comités d’experts. « Les critères d’addiction sont une sorte de checklist comportant une dizaine de critères et des seuils à partir desquels on considère qu’il y a addiction« , explicite Mathieu Boudard, premier auteur de l’étude. Dans leur étude, les chercheurs bordelais ont repris les neuf critères définis pour l’addiction aux jeux vidéo et les ont adaptés à l’usage des écrans. “Passez-vous beaucoup de temps à penser aux jeux, même lorsque vous ne jouez pas, ou à planifier votre prochaine partie ?” devient par exemple “Passez-vous beaucoup de temps à penser aux écrans, même lorsque vous ne les utilisez pas, ou à prévoir quand vous pourrez les utiliser la prochaine fois ?”. “On considère qu’il y a addiction à partir de 5 critères. Avec un seul sur les 9, c’est un usage problématique mais pas une addiction”, explique Jean-Marc Alexandre, chercheur en addictologie, qui a co-signé ces travaux. Le questionnaire rassemblant les critères est diffusé sur papier dans toutes les institutions scolaires et administratives de la ville de Martignas-sur-Jalle (Gironde). 

Lire aussi« Le bon usage des écrans » : une campagne d’info contre les usages trop intensifs

1,7% d’addiction, 44% d’usages problématiques 

Sur 300 retours complets et exploitables de personnes de plus de 12 ans, 1,7% rapportent cumuler au moins 5 critères et donc souffrir d’addiction aux écrans. Un chiffre qui ne surprend pas les chercheurs puisque les addictions à des comportements sont souvent de quelques pourcents seulement. Il confirme que malgré les craintes des parents en particulier, la véritable addiction aux écrans reste rare. « Il faut toujours appuyer sur le fait que l’addiction n’est pas l’affaire des objets mais d’un comportement par rapport aux objets », rappelle Jean-Marc Alexandre. « Ce que dit l’étude, c’est que les critères les plus liés à l’addiction aux écrans sont la préoccupation (penser souvent aux écrans, ndlr) et la perte d’intérêt pour d’autres activités, comme pour les substances. »

Il ne faut cependant pas minimiser les risques posés par l’usage des écrans. L’étude identifie en effet 44%, soit presque la moitié des répondants, présentant un à quatre critères d’addiction. « Ces 40%, c’est le reflet de l’inquiétude qui transparait dans le débat public sur les problèmes que posent les écrans », analyse Marc Auriacombe. “Cela signifie qu’il y a besoin d’information : il ne faut pas interdire ou condamner, mais plutôt donner un guide d’usage et des recommandations, un peu comme pour l’alcool« . Sans cela, une petite partie de ces 44% pourrait un jour glisser vers l’addiction, mais il sera difficile d’évaluer ce risque avant une décennie tant l’installation d’une addiction est lente et doit – par définition – être durable pour être qualifiée comme telle, estime Jean-Marc Alexandre. « D’autant que ce média est évolutif, les usages vont peut-être devenir plus addictifs dans les années à venir »

Critères des addictions aux écrans d’après l’étude de Boudard M. 2022
Préoccupation
Passez-vous beaucoup de temps à penser aux écrans, y compris quand vous n’en utilisez pas, ou à prévoir quand vous pourrez en utiliser à nouveau ?
 

Repli sur soi    

Lorsque vous tentez d’utiliser moins d’écrans ou de ne plus en utiliser, ou lorsque vous n’êtes pas en mesure d’utiliser d’écran, vous sentez-vous agité, irritable, d’humeur changeante, anxieux ou triste ?
 
Tolérance
Ressentez-vous le besoin d’utiliser des écrans plus longtemps, d’utiliser des écrans plus excitants ou d’utiliser du matériel informatique plus puissant pour atteindre le même état d’excitation qu’auparavant ?
 
Perte de contrôle    
 Avez-vous l’impression que vous devriez utiliser moins d’écrans, mais que vous n’arrivez pas à réduire votre temps d’écran ? 
 
Perte d’intérêt    
Avez-vous perdu l’intérêt ou réduit votre participation à d’autres activités (temps pour vos divertissements, amis) à cause des écrans ?
 
Continuer malgré les problèmes    
Avez-vous continué à utiliser des écrans, tout en sachant que cela entraînait chez vous des problèmes ? 
Comme ne pas dormir suffisamment, arriver en retard à l’école/au travail, dépenser trop d’argent, vous disputer avec d’autres personnes ou négliger des tâches importantes ?
 
Tromper/se dissimuler    
 Vous arrive-t-il de cacher aux autres, votre famille, vos amis, à quel point vous utilisez des écrans, ou de leur mentir à propos de vos habitudes d’écrans ?
 
Échapper à une humeur négative 
vez-vous utilisé des écrans pour échapper à des problèmes personnels ou pour soulager une humeur indésirable (exemples : sentiments d’impuissance, de culpabilité, d’anxiété ou de dépression)
 
Risque/perte de relations/opportunités    
Avez-vous mis en danger ou perdu une relation affective importante, un travail, un emploi ou des possibilités d’études à cause des écrans ?
 

Attention, ces critères ne sont pas officiellement établis pour caractériser les addictions aux écrans. Ils ont été adaptés par les chercheurs de l’étude à partir des critères officiels d’addiction aux jeux vidéo.

Que faire en cas de soupçon d’addiction aux écrans ? 

Si vous êtes vous-mêmes inquiet par rapport à votre usage des écrans ou à celle d’un proche, pensez d’abord que le premier marqueur d’une addiction n’est pas le temps d’utilisation, mais la perte de contrôle, rappelle Mathieu Boudard. En cas de besoin, un professionnel peut aider, de la même manière que pour les autres types d’addictions en fonction du diagnostic établi. La prise en charge peut comprendre des thérapies cognitives et comportementales (TCC), des médicaments et surtout une forte éducation du patient pour l’aider à reprendre le contrôle sur ses usages. 

Source: Sciencesetavenir.fr
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