Horizon 2070 : comment le changement climatique augmentera le risque de transmission virale inter-espèces

Même selon le scénario climatique le plus optimiste, le déplacement des mammifères poussés par le réchauffement climatique entraînera au moins 15.000 nouvelles transmissions virales inter-espèces d’ici à 2070.

Terre recouverte de virus

L’émergence de la pandémie de Covid-19 a probablement été facilitée par le changement climatique.

KATERYNA KON / SCIENCE PHOTO LIBRA / KKO / Science Photo Library via AFP

L’émergence du virus du Covid-19 ne sera probablement pas un incident isolé, alertent des chercheurs américains. D’après leurs calculs publiés dans Nature, au moins 15.000 nouvelles transmissions virales entre espèces de mammifères auront lieu d’ici à 2070, principalement en Asie du Sud-Est. En cause, le changement climatique, qui entraîne un déplacement des espèces animales et donc de nouvelles opportunités de contagion.  

Le changement climatique force les espèces à se déplacer 

Cette analyse a été réalisée “à peine quelques semaines” avant la pandémie de Covid-19, révèlent les auteurs de l’étude. Une temporalité presque divinatoire, alors que leurs travaux alertent justement sur l’impact du changement climatique sur l’augmentation des transmissions virales. Une donnée d’importance, car plus elles sont nombreuses et proches de nous, et plus le risque qu’un virus se transmette à l’humain – devenant ainsi une zoonose – est élevé. “Même dans le meilleur des cas, l’aire de répartition géographique de nombreuses espèces devrait se déplacer d’une centaine de kilomètres ou plus au cours du siècle prochain”, en apportant avec elles leurs parasites, virus et bactéries, expliquent les chercheurs.  

Dans ces nouveaux environnements, des espèces qui n’ont jamais interagit pourraient entrer en contact. La transmission de leurs pathogènes de l’une à l’autre dépendra alors de deux paramètres. D’une part l’opportunité – il faut qu’elles soient suffisamment proches l’une de l’autre -, et d’autre part de la compatibilité – qu’elles soient assez ressemblantes génétiquement pour que l’agent pathogène puisse infecter l’une comme l’autre. Des conditions bien moins fréquemment remplies qu’on pourrait le penser. “La plupart des hôtes n’ont pas la possibilité d’échanger des agents pathogènes”, pointent les scientifiques. Ainsi, sur les 21 millions de paires de mammifères potentielles, seules 7% partagent une même aire géographique (et ont donc l’opportunité de se rencontrer) et 6% hébergent une ou plusieurs espèces de virus identiques (signant une compatibilité suffisante pour la transmission). 

Un modèle prédictif des migrations de mammifères d’ici 2070 

Munis de ces données, mais également des potentiels habitats vers lesquels les 3.870 espèces de mammifères examinées ont la capacité de migrer, les chercheurs prédisent “comment et où le changement global pourrait potentiellement créer de nouvelles opportunités de partage viral”. Ils travaillent pour cela selon une hypothèse optimiste, dans laquelle le réchauffement mondial en resterait à 2°C grâce à des interventions humaines rapides et efficaces. Et une pessimiste, dans laquelle le réchauffement excéderait les 4°C, avec une dépendance continue aux combustibles fossiles ainsi qu’une dégradation et un changement rapides des terres.  

Au moins 15.000 nouveaux cas de transmissions, surtout par des chauve-souris 

Les modèles sont formels : quel que soit le scénario climatique, le déplacement des espèces entraînera un doublement des contacts potentiels. “Ces ‘premières rencontres’ entre espèces de mammifères se produiront partout dans le monde, mais sont concentrées en Afrique tropicale et en Asie du Sud-Est”, révèlent les chercheurs, et non pas à des latitudes plus élevées, en contradiction avec certaines hypothèses selon lesquelles les animaux iraient y chercher un peu de fraîcheur. En revanche, elles pourraient bien se réunir en altitude, d’après leur cartographie. Résultat, même dans le scénario le plus optimiste de +2°C, les chercheurs prévoient au minimum 15.000 cas de transmissions inter-espèces d’au moins un nouveau virus.  

Une famille de mammifères aux capacités migratrices importantes sort nettement du lot. Les chauves-souris représentent en effet près de 90% de ces premiers contacts inter-espèces, quel que soit le scénario climatique, principalement en Asie du Sud-Est. “Même les chauves-souris non migratrices peuvent régulièrement parcourir des centaines de kilomètres au cours d’une vie, ce qui dépasse de loin ce que les petits mammifères peuvent parcourir en 50 ans”, expliquent les chercheurs. 

Les zones densément peuplées par les humains sont plus à risque 

Ces transmissions inter-espèces “sont disproportionnellement susceptibles de se produire dans des zones qui, selon les prévisions, seront habitées par l’Homme ou utilisées comme terres cultivées, et moins susceptibles de se produire dans les forêts”, pourtant riches d’une forte biodiversité, précisent les scientifiques. Les nouveaux points chauds des 50 prochaines années devraient ainsi notamment concerner le Sahel, les hauts plateaux éthiopiens, la vallée du Rift en Afrique de l’est, en Inde, en Chine orientale, en Indonésie et aux Philippines. 

Limiter le changement climatique n’empêchera pas le processus 

Malheureusement, d’après les calculs des chercheurs, aucune atténuation du changement climatique ne freinera le processus. Au contraire, les scénarios les plus optimistes semblent même susceptibles de produire une transmission virale inter-espèces plus importante qu’un changement climatique plus violent ! Car un réchauffement plus lent laisse également le temps aux espèces de se déplacer petit à petit en suivant son évolution, entraînant une plus forte expansion géographique et donc davantage de contacts avec d’autres espèces.

Nous attirons l’attention sur le fait que ces résultats ne doivent pas être interprétés comme une justification de l’inaction, ou comme un avantage possible d’un réchauffement non atténué” aux conséquences dévastatrices, mais plutôt comme un appel urgent à “améliorer les systèmes de surveillance des maladies de la faune sauvage et les infrastructures de santé publique en tant que forme d’adaptation au changement climatique« , concluent les auteurs. 

Source: Sciencesetavenir.fr
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