Effacées de la mémoire collective, des espèces s’éteignent alors une seconde fois

Dans une nouvelle étude, une équipe internationale de recherche s’intéresse à « l’extinction sociétale » qui pousse l’humanité à oublier des espèces animales et végétales éteintes ou en passe de l’être.

Un crâne de loup de Honshu (Canis lupus hodophilax)

Un crâne de loup de Honshu (Canis lupus hodophilax). Cette sous-espèce est peu présente dans les collections des musées japonais.

Wikimedia Commons

« On dit qu’on meurt deux fois. La première fois quand on cesse de respirer, et la seconde, un peu plus tard, quand quelqu’un dit votre nom pour la dernière fois. » Cette citation, que certains attribuent à l’artiste Banksy, d’autres à l’écrivain américain Irvin Yalom, traduit également un triste phénomène observé au sein de la faune et de la flore. Les espèces éteintes et oubliées disparaissent symboliquement deux fois.

Des espèces oubliées avant même de s’éteindre

Les chercheurs parlent alors « d’extinction sociétale » : les espèces sont effacées de la mémoire collective. « Des espèces peuvent disparaître de nos sociétés, de nos cultures et de nos discours en même temps, voire avant, qu’elles ne soient biologiquement éteintes par diverses actions humaines« , explique dans un communiqué l’Université d’Oxford (Royaume-Uni), impliquée dans une nouvelle étude sur le sujet. Une équipe internationale de chercheurs s’est penchée sur ce phénomène pour tenter de comprendre pourquoi certaines espèces sont oubliées.

Les résultats, parus le 15 février 2022 dans la revue Trends in Ecology & Evolution, indiquent que cette amnésie généralisée dépend de plusieurs facteurs : le charisme de l’espèce (souvent lié à sa morphologie), sa valeur symbolique et culturelle (l’image de certaines espèces est si exploitée qu’elles « pourraient recevoir des royalties« , estiment des chercheurs), le moment de sa disparition et si elle vivait isolée de l’humanité. Ce constat est valable pour la faune comme pour la flore.

« L’extinction sociétale se produit non seulement chez les espèces éteintes, mais aussi chez les espèces qui vivent encore parmi nous, souvent en raison de changements sociaux ou culturels« , explique le Dr Diogo Verissimo, co-auteur de l’étude. De nombreuses personnes n’ont par exemple plus de connaissances sur les plantes. Même celles possédant des propriétés médicinales ont été gommées des mémoires avec l’avènement de la médecine moderne. En Chine et en Bolivie, c’est le nom des oiseaux disparus que l’on oublie peu à peu. Au Japon, le loup de Honshu (Canis lupus hodophilax) est peu présent dans les musées. Alors cette espèce éteinte disparaît inexorablement de la culture nippone.

Et « il est important de noter que la majorité des espèces ne peuvent pas réellement disparaître de la société, simplement parce qu’elles n’ont jamais eu de présence sociétale au départ, se désole le Dr Ivan Jarić, auteur principal de l’étude. Cela est courant chez les espèces peu charismatiques, petites, cryptiques ou inaccessibles, en particulier parmi les invertébrés, les plantes, les champignons et les micro-organismes ». Leur extinction se fera alors dans l’indifférence humaine la plus totale alors même que les activités anthropiques seront peut-être en cause.

Un souvenir biaisé des espèces disparues

A l’inverse, « les espèces peuvent également rester connues collectivement après leur extinction, ou même devenir plus populaires, explique pour sa part le Dr Uri Roll, également impliqué dans cette étude. Cependant, notre conscience et notre mémoire de ces espèces se transforment progressivement et deviennent souvent inexactes, stylisées ou simplifiées et dissociées de l’espèce réelle« . Le Ara de Spix représente l’un des meilleurs exemples. Rendu célèbre par le film « Rio« , cet oiseau est éteint dans la nature. Il résidait naturellement près du rio Sao Francisco, au Brésil soit bien plus au nord que Rio de Janeiro. Pourtant, les enfants des communautés implantées dans son ancienne aire de répartition l’associent à la seconde plus grande ville du Brésil, ignorant qu’il fait partie de leur culture locale.

Des espèces comme le dodo (Raphus cucullatus), le thylacine (Thylacinus cynocephalus) ou encore le mammouth sont aussi durablement intégrées à la mémoire collective malgré (ou grâce à) leur extinction totale, au point que certains voudraient les faire revivre.

Un thylacine. Crédit : Oxford University News Office (R&I Communications)

Les auteurs de cette nouvelle étude concluent de tout cela que si l’extinction d’une espèce dans la mémoire collective « est cognitivement insoluble« , sa survenue ne doit pas pour autant être ignorée car elle entraîne une diminution du soutien aux efforts de conservation. Elle détruit également un véritable héritage culturel.

Source: Sciencesetavenir.fr
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