Deux carnets volés de Darwin mystérieusement restitués plus de deux décennies après

Deux cahiers de Charles Darwin, dont l’un contenant son croquis emblématique « Tree of Life » (arbre de vie) de 1837, ont été anonymement rendus à la bibliothèque de l’université de Cambridge, plus de deux décennies après avoir été portés disparus.

Le croquis volé de "l'Arbre de vie" a été restitué

La bibliothécaire Jessica Gardner regarde le croquis de l’Arbre de vie, esquissé dans l’un des carnets de Darwin mystérieusement restitués en mars 2022.

Stuart Roberts/Cambridge University Library

C’est un scénario à la Arsène Lupin. 22 ans après avoir été sortis d’une chambre forte de la bibliothèque de l’Université de Cambridge (Grande-Bretagne) puis s’être mystérieusement volatilisés, deux précieux carnets de Charles Darwin, le père de la Théorie de l’Evolution, ont fait leur réapparition, le 9 mars 2022. Ils ont été anonymement déposés dans un sac rose à un étage ouvert au public dépourvu de caméra de surveillance, juste à côté du bureau de la bibliothécaire, le Dr Jessica Gardner. A l’intérieur, une enveloppe marron sur laquelle était tapuscrit : « Bibliothécaire Joyeuses Pâques X » et la boîte d’archive originelle avec ses deux cahiers, soigneusement emballés de film plastique. L’inconnu ou inconnue savait parfaitement à qui s’adresser. Il y a quinze mois, le Dr Jessica Gardner avait lancé un appel mondial « à l’aide« , en partenariat avec la police du Cambridgeshire et Interpol, appel que Sciences et Avenir avait d’ailleurs relayé.

Une note tapuscrite accompagnait le sac cadeau, dans lequel la boîte originelle et les carnets volés de Darwin ont été restitués, le 9 mars 2022. Crédit : Stuart Roberts/Cambridge University Library

Les carnets renferment des travaux uniques : le point de départ de la théorie de l’évolution

« Mon sentiment de soulagement, avec le retour de ces carnets en bon état est profond et presque impossible à exprimer de manière adéquate », réagit la bibliothécaire. « Il y a eu quelques larmes.Avec tant d’autres à travers le monde, (dont l’auteure de ces lignes, ndlr) j’ai eu le cœur brisé d’apprendre leur perte, et ma joie est immense. Ils sont peut-être minuscules, de la taille d’une carte postale, mais l’impact des cahiers sur l’histoire de la science et leur importance pour nos collections de classe mondiale est inestimable« . 

Pour comprendre la valeur de cette restitution, il faut remonter à octobre 1836, quand Charles Darwin (1809-1882) rentre en Angleterre, cinq ans après avoir mis les voiles pour un tour du monde naturaliste à bord du H.M.S Beagle. Au cours de ce périple, il a passé trois ans et trois mois à explorer la terre ferme et 18 mois en mer, collectant des spécimens et consignant ses observations dans des cahiers qu’il envoie petit à petit dans son pays natal. Il y détaille notamment les intrigantes différences de taille et becs entre les pinsons des diverses îles des Galápagos, dans le Pacifique. Très vite, Darwin retourne à Cambridge, et travaille à comprendre, ou plutôt faire jaillir le principe de l’évolution des espèces qui bouleversera à jamais le monde scientifique. C’est alors qu’il esquisse, dans son carnet « B », le célèbre « Tree of life » ou « Arbre de Vie » montrant la ramification généalogique d’un seul arbre évolutif, au trait grêle mais à la fulgurance intellectuelle majeure. Il publiera une version plus complète de ce croquis en 1859 dans L’Origine des espèces, où il décrit la sélection naturelle comme processus majeur de l’évolution des espèces.

L’arbre de vie esquissé par Charles Darwin en 1837 dans son carnet B. Sa ramification évoque l’origine unique des espèces, l’intuition qui donnera naissance à la théorie de l’évolution. Crédit : Stuart Roberts/Cambridge University Library

Egarés dans un tiroir ou volés ? Il faudra 20 ans pour trancher

Des décennies plus tard, le fameux cahier « B » est stocké avec un autre, le « C », dans une petite boîte bleue conservée dans une chambre forte de la bibliothèque de l’Université de Cambridge. En septembre 2000, ces deux carnets d’une valeur estimée à plusieurs millions de livres sterling sont retirés de leur sanctuaire pour être photographiés. Quelques mois passent, mais en janvier, raconte l’institution sur son site, les conservateurs constatent, interloqués, que la boîte bleue n’a pas été remise à sa place. Une première recherche a lieu, sans résultat et l’on pense que les trésors ont été égarés dans un tiroir, mal classés. D’autres investigations resteront infructueuses. Jusqu’à ce que la nouvelle bibliothécaire en poste depuis 2017, le Dr Jessica Gardner décide de lancer en 2020 une fouille exhaustive, la plus grande jamais menée dans cette bibliothèque qui recèle dix millions de livres, cartes, manuscrits et autres objets. Des experts aux mains gantées explorent chaque lieu de stockage, chaque armoire, chaque coffre, ainsi que l’ensemble des archives Darwin, soit 189 boîtes. C’est alors la consternation, et après consultation d’experts en vol et recel du patrimoine culturel, la vénérable bibliothèque de Cambridge doit convenir que ses employés ne sont peut-être pas seulement désordonnés mais aussi que leurs réserves patrimoniales ne sont pas inviolables : les précieux carnets ont été dérobés. Ils sont ajoutés à la base de données d’Interpol sur les œuvres d’art volées, PSYCHE.

Les carnets « B » et « C » de Charles Darwin, aux côtés d’une palette de colorimétrie. Crédit : Stuart Roberts/Cambridge University Library

Aucun dégât n’a été constaté pour ces trésors de plusieurs millions de livres sterling

Les cahiers rendus anonymement, emballés dans du film alimentaire, « sont en bon état, sans aucun signe évident de manipulation importante ou de dommage subi au cours des années qui ont suivi leur disparition« . Après quatre jours de travail et de prélèvements de la police scientifique, les experts ont pu déballer, inspecter, feuilleter, vérifier le taux d’humidité, les couleurs des manuscrits joyaux de l’histoire des sciences. Ces derniers ont pu reprendre leur place aux côtés des archives de Sir Isaac Newton et du professeur Stephen Hawking.

Des experts examinent les carnets volés de Darwin après leur restitution en mars 2022 par un anonyme. Crédit : Stuart Roberts / University of Cambridge Library.

Cambridge jure aujourd’hui qu’on ne la prendra plus en défaut. « Depuis que les carnets ont été portés disparus,les bâtiments de Cambridge ont été hautement sécurisés“, explique Robert Stuarts, directeur de la communication de l’institution. Cela a inclus l’achèvement de nouvelles chambres fortes de haute sécurité, de nouvelles salles de lecture spécialisées et une gamme de mesures de sécurité supplémentaires. Mais aussi une vidéosurveillance accrue, l’accès par carte et code PIN aux zones sécurisées, une équipe de sécurité dédiée sur site et d’autres examens de fond en comble de tous nos protocoles de sécurité à venir – pour nous assurer que nous minimisons tout risque futur dans la mesure du possible. »

L’enquête de police, elle, se poursuit. Car le mystère est loin d’être résolu. Les motivations du voleur et celles de l’anonyme qui a rendu les carnets (qui ne sont peut-être pas les mêmes personnes) sont inconnues. Par ailleurs, le carnet est-il passé entre plusieurs mains ? Une enquête pourra-t-elle un jour l’établir ? Bien qu’il n’y ait pas de système de vidéosurveillance en place sur le palier où le sac cadeau a été déposé, il y a des caméras à l’extérieur du bâtiment, ainsi que dans les salles de lecture spécialisées et les coffres à l’intérieur. Les images ont été transmises à la police qui a par ailleurs lancé un appel à information, avec un numéro dédié.

Source: Sciencesetavenir.fr
laissez un commentaire