Dans les égouts, la mémoire de la ville

Des équipes du CNRS effectuent des carottages dans des dépôts provenant des réseaux d’assainissement pour y rechercher les traces de l’activité humaine et les résidus des matériaux qui composent la ville. Une façon objective de comprendre comment fonctionne nos modes de consommation.

Examen d'une carotte

Examen d’un carotte issue du bassin de décantation du réseau d’assainissement d’Orléans.

SEDIMENTS. La ville d’Orléans possède une caractéristique rare. En amont de sa station d’épuration, les égouts comportent une sorte d’appendice : un silo de décantation destiné à récolter les particules solides lourdes avant que les eaux usées ne soient traitées. Construit en 1942, cet ouvrage collecte des résidus organiques, des poussières emportées par les pluies, de minuscules fragments de matériaux de construction, des traces de médicaments. «  Cela fait 70 ans que cela s’empile par strates comme le feraient des apports de sédiments dans un lac, s’enthousiasme Jérémy Jacob, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE, CNRS/Université Paris-Saclay). D’où l’idée de forer cette matière comme on fait pour les glaces des pôles « . Les premiers résultats que vient de publier la revue scientifique Anthropocène sont stupéfiants.

En matière de forage, Jérémy Jacob n’est pas un amateur. Sa spécialité d’origine, c’est l’évolution du climat à travers les carottes de sédiments des lacs. En se rapprochant de l’holocène (-12000 ans, notre époque géologique actuelle), sa recherche s’est orientée vers les marqueurs spécifiques de l’activité humaine. Quelles traces ont pu laisser les hommes du néolithique par exemple ? Jérémy Jacob a ainsi créé un traceur qui permet de repérer dans les couches géologiques des concentrations de millet, une des premières plantes cultivées. « On s’est demandé ce que nous apprendraient des dépôts actuels sur le fonctionnement de notre société et c’est ainsi que le CNRS a accepté de financer le programme Golden Spike« , poursuit le chercheur. Golden Spike comme « clou d’or », ce signal géologique présent sur tout le globe qui servirait de point de départ de l’anthropocène, la nouvelle ère succédant à l’holocène marquant la mainmise de l’homme sur la Terre.

Dans les égouts, des alternances de pluies et d’eaux usées

Habitant d’Orléans, le chercheur a appris l’existence du silo alors que l’agglomération projetait sa rénovation. En 2017, il a convaincu la mairie d’aller y forer et le Centre de carottage et de forage national (CCFN dépendant du CNRS) d’y dépêcher l’une de ses machines. 17 carottes ont été prélevées sur 17 mètres de profondeur couvrant les accumulations de 1980 à 2016. L’article qui vient de paraître donne les résultats de 1,5 mètre de prélèvements qui correspond à la période juin 2015-mars 2016.

Forage du bassin de décantation d’Orléans en 2017. © LSCE

 » Notre première surprise a été de constater que cette carotte présentait trois types de composition, à la base des sédiments fins et organiques, puis des sédiments grossiers et minéraux et au sommet des résidus fins et minéraux « , détaille Jérémy Jacob. Pour en préciser la composition, les chercheurs ont utilisé des traceurs moléculaires pour les matières fécales, des radioéléments et des microbilles de verre qui sont des dispositifs réfléchissants tels que ceux équipant les marquages routiers pour les rendre lumineux la nuit. Cette technique a permis de déterminer que les sédiments minéraux avaient été apportés par les pluies tandis que les marqueurs fécaux étaient très abondants dans les sédiments organiques. L’examen des relevés pluviométriques a révélé que c’est un marqueur météo : quand il pleut, l’eau apporte majoritairement des particules lessivées sur les bâtiments et les rues. Quand il fait sec, ce sont les rejets humains qui s’imposent.

Un thermomètre qui révèle la consommation d’une ville

COCAÏNE. Ces sédiments constituent donc un baromètre global de l’activité d’une ville. Membre de l’Institut des sciences de la terre d’Orléans (ISTO), Thomas Thiebault est ainsi l’auteur principal d’une étude parue en 2017 dans Science of total environment qui a analysé la présence de 25 drogues dans les rejets de stations d’épuration du Val de Loire. Les chercheurs y ont détecté pour la première fois de l’héroïne et des amphétamines et détecté de la cocaïne et de l’ectazy en plus grande quantité le week-end que la semaine. Un autre travail de la même équipe publié en 2019 dans Chemosphere rapporte une augmentation des résidus de stimulants en rapport avec le calendrier des examens universitaires.

Vue en coupe d’une strate d’un dépôt de sédiment dans le bassin de décantation d’Orléans. ©Cyril Frésillon

Pour Jérémy Jacob qui est co-signataire de ces études, ces résultats ne doivent pas constituer un nouveau moyen de surveiller la population. «Ce qui nous intéresse, c’est de comprendre le fonctionnement global d’une ville et de ses habitants pas de dénoncer leurs habitudes, corrige le chercheur. Nous avons là une sorte de thermomètre qui va nous permettre de préciser objectivement comment évolue la consommation et si les règles et lois sont bien appliquées ». Cette méthode pourrait ainsi mesurer finement les changements d’habitude alimentaire et vérifier aussi qu’une population a bien rééquilibré son régime vers moins de viande et plus de légumes ou bien encore que l’usage des pesticides a bien cessé.

La technique ouvre à une multitude d’applications

CITOYENS. Les chercheurs ont devant eux un immense champ d’applications. «Nous avons une multitude de traceurs à inventer pour rechercher les informations les plus pertinentes et utiles aux citoyens », assure Jérémy Jacob. C’est la prochaine étape. Par ailleurs, l’expérimentation suivante est déjà envisagée. La ville de Paris est équipée de 300 bassins de décantation nettoyés tous les 6 mois à trois ans. Un laps de temps suffisamment long pour y envisager des carottages pour comparer les compositions des rejets selon les quartiers. Ces mesures seraient ainsi comparées aux données Insee de la composition sociologique pour bien objectiver les différences de mode de vie selon les revenus, l’âge et la position sociale, bien mieux que ne le feraient les questionnaires de recensement.

« On peut même imaginer des expériences de sciences citoyennes, s’amuse enfin Jérémy Jacob. On pourrait ainsi demander à tout un quartier de ne manger tout un week end que des légumes pour en déterminer l’effet sur les rejets ». L’actuel confinement des populations et les changements qu’il implique devraient ainsi se « voir » dans les égouts. L’expérience orléanaise constitue ainsi l’ébauche d’un nouvel instrument de mesure de l’état de santé du métabolisme urbain.

SEDIMENTS. La ville d’Orléans possède une caractéristique rare. En amont de sa station d’épuration, les égouts comportent une sorte d’appendice : un silo de décantation destiné à récolter les particules solides lourdes avant que les eaux usées ne soient traitées. Construit en 1942, cet ouvrage collecte des résidus organiques, des poussières emportées par les pluies, de minuscules fragments de matériaux de construction, des traces de médicaments. « Cela fait 70 ans que cela s’empile par strates comme le feraient des apports de sédiments dans un lac, s’enthousiasme Jérémy Jacob, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE, CNRS/Université Paris-Saclay). D’où l’idée de forer cette matière comme on fait pour les glaces des pôles ». Les premiers résultats que vient de publier la revue scientifique Anthropocène sont stupéfiants.

En matière de forage, Jérémy Jacob n’est pas un amateur. Sa spécialité d’origine, c’est l’évolution du climat à travers les carottes de sédiments des lacs. En se rapprochant de l’holocène (-12000 ans, notre époque géologique actuelle), sa recherche s’est orientée vers les marqueurs spécifiques de l’activité humaine. Quelles traces ont pu laisser les hommes du néolithique par exemple ? Jérémy Jacob a ainsi créé un traceur qui permet de repérer dans les couches géologiques des concentrations de millet, une des premières plantes cultivées. «On s’est demandé ce que nous apprendraient des dépôts actuels sur le fonctionnement de notre société et c’est ainsi que le CNRS a accepté de financer le programme Golden Spike», poursuit le chercheur. Golden Spike comme « clou d’or », ce signal géologique présent sur tout le globe qui servirait de point de départ de l’anthropocène, la nouvelle ère succédant à l’holocène marquant la mainmise de l’homme sur la Terre.

Source: Sciencesetavenir.fr
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