COP15 biodiversité : comment financer efficacement la protection de la nature ? Un enjeu crucial du sommet mondial

La création d’un fonds « pertes et dommages » lors des négociations climat de la COP27, l’annonce de profonds changements dans les interventions des banques multilatérales de développement, le financement de la protection de la biodiversité des pays du sud bouleversent le paysage de l’aide internationale. Responsable de la division Climat et Nature à l’AFD, Mathilde Bord-Laurans, revient pour Sciences et Avenir sur les financements « climat » et « biodiversité ».

Mathilde Bord-Laurans

Mathilde Bord-Laurans

AFD

Après la finance climat, voici la finance biodiversité. Le 7 décembre 2022 s’ouvre à Montréal la COP15 de la Convention sur la biodiversité biologique (CBD). Les Etats devront y décider des actions nécessaires pour stopper la disparition accélérée des espèces animales et végétales et des écosystèmes dans lesquels ils vivent, au nord comme au sud. Comme pour le climat, le financement pérenne par les Etats développés d’outils de protection de la nature dans les pays en voie de développement est un enjeu clé des négociations. Mathilde Bord-Laurans de l’AFD (Agence française de développement) décrit le contexte dans lequel se déroule ces négociations.

Sciences et Avenir : La COP27 vient de décider de la création d’un fonds « pertes et dommages » destiné à indemniser les états du sud des impacts déjà réels du changement climatique. Qu’est-ce que cela change pour le système d’aide international ?

Mathilde Bord-Laurans : Il s’agit de trouver des financements qui permettent de répondre rapidement aux besoins créés par les destructions d’une catastrophe naturelle ou d’anticiper sur les impacts irrémédiables du changement climatique comme la montée du niveau de la mer ou la désertification. Il a été décidé de travailler sur une mosaïque de financement dont un fond dédié. Une des difficultés, c’est que nous n’avons pas de définition claire des « pertes et dommages » ou plutôt de délimitation claire par rapport à ce qui relève déjà de nos mandats comme la réduction des risques de catastrophes naturelles (financement des systèmes d’alertes par exemple) ou l’adaptation au changement climatique. La gouvernance de ce fonds, son fonctionnement, son périmètre d’action doivent être décidés dans l’année qui vient, jusqu’à la COP 28 à Dubaï en novembre 2023. Lors de sa présidence du G7 en 2022, l’Allemagne a par ailleurs proposé un « bouclier global pour le risque climatique » qui travaille sur des systèmes assurantiels en direction des populations qui n’ont pas les moyens de protéger leurs maisons, leurs biens et leurs activités, comme le régime de catastrophe naturelle en France. Ce sont d’autres canaux de financement que ce fond, raison pour laquelle on parle de mosaïque des solutions.

Est-ce que ce fonds ne risque pas d’entrer en concurrence avec les besoins en adaptation des pays en voie de développement au changement climatique 

Après la finance climat, voici la finance biodiversité. Le 7 décembre 2022 s’ouvre à Montréal la COP15 de la Convention sur la biodiversité biologique (CBD). Les Etats devront y décider des actions nécessaires pour stopper la disparition accélérée des espèces animales et végétales et des écosystèmes dans lesquels ils vivent, au nord comme au sud. Comme pour le climat, le financement pérenne par les Etats développés d’outils de protection de la nature dans les pays en voie de développement est un enjeu clé des négociations. Mathilde Bord-Laurans de l’AFD (Agence française de développement) décrit le contexte dans lequel se déroule ces négociations.

Sciences et Avenir : La COP27 vient de décider de la création d’un fonds « pertes et dommages » destiné à indemniser les états du sud des impacts déjà réels du changement climatique. Qu’est-ce que cela change pour le système d’aide international ?

Mathilde Bord-Laurans : Il s’agit de trouver des financements qui permettent de répondre rapidement aux besoins créés par les destructions d’une catastrophe naturelle ou d’anticiper sur les impacts irrémédiables du changement climatique comme la montée du niveau de la mer ou la désertification. Il a été décidé de travailler sur une mosaïque de financement dont un fond dédié. Une des difficultés, c’est que nous n’avons pas de définition claire des « pertes et dommages » ou plutôt de délimitation claire par rapport à ce qui relève déjà de nos mandats comme la réduction des risques de catastrophes naturelles (financement des systèmes d’alertes par exemple) ou l’adaptation au changement climatique. La gouvernance de ce fonds, son fonctionnement, son périmètre d’action doivent être décidés dans l’année qui vient, jusqu’à la COP 28 à Dubaï en novembre 2023. Lors de sa présidence du G7 en 2022, l’Allemagne a par ailleurs proposé un « bouclier global pour le risque climatique » qui travaille sur des systèmes assurantiels en direction des populations qui n’ont pas les moyens de protéger leurs maisons, leurs biens et leurs activités, comme le régime de catastrophe naturelle en France. Ce sont d’autres canaux de financement que ce fond, raison pour laquelle on parle de mosaïque des solutions.

Est-ce que ce fonds ne risque pas d’entrer en concurrence avec les besoins en adaptation des pays en voie de développement au changement climatique ?

La frontière est nécessairement mince. Lorsqu’on intervient après une catastrophe, après la phase de première urgence, les actions suivantes consistent à rebâtir des conditions de vie décentes et à redémarrer une économie. Le fonds « pertes et dommages » permettra d’accélérer le retour à la normale pour éviter des conséquences sociales et économiques graves. Mais on doit reconstruire dans des standards qui permettront aux infrastructures et aux habitants de mieux résister à la catastrophe suivante. Et là on est dans l’adaptation.

Le fait que la « science de l’attribution » développée depuis une dizaine d’années permet désormais de faire la part entre l’évènement météo naturel et la part de responsabilité des émissions anthropiques de gaz à effet de serre ne va-t-il pas aider à mieux utiliser les fonds ?

Cela devrait effectivement faciliter le déclenchement d’un tel fond « pertes et dommages ». La science réussit désormais à établir les responsabilités. De façon générale, le rôle de la science et des organes comme le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et à l’Ipbes (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) est essentiel sur ces questions. Ces instances scientifiques éclairent les choix que les décideurs politiques, les chefs d’entreprise, les financiers doivent faire.

En matière d’adaptation, quels projets finance l’AFD ?

Depuis 2007, notre organisme s’est doté d’une feuille de route climat et en 2017 nous avons pris l’engagement que tous nos projets seraient compatibles avec l’accord de Paris, ce qu’un bureau d’études indépendant vient de confirmer. Pour 50% de nos financements, c’est une contribution directe à la lutte contre le changement climatique que nous recherchons : nos projets doivent permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre ou d’améliorer la résilience des populations face au changement climatique. Par exemple, nous agissons notamment avec le programme PEEB développé avec la coopération allemande sur l’efficacité énergétique des bâtiments. Actuellement, les pays en voie de développement construisent toutes les semaines l’équivalent de Paris en surface et en nombre de logements. Il faut donc diffuser les meilleurs standards de construction pour un habitat sain, naturellement climatisés, peu exigeant en énergie. Autre domaine : la lutte contre les inondations. Au Sénégal, nous aidons à mettre en œuvre des projets de lutte contre les inondations, infrastructures vertes et grises de drainage, mais aussi à développer au sein des institutions des outils de gestion des risques. Nous développons aussi des programmes de protection sociale dans le Sahel pour réduire la vulnérabilité des ménages devant des catastrophes naturelles. Il faut en effet éviter par exemple qu’en période de sécheresse, des éleveurs soient obligés d’abattre leur bétail ou bien que l’urgence fasse qu’une famille décide de mettre un enfant au travail plutôt qu’à l’école. Nos financements dédiés à l’adaptation sont passés de 1,1 milliard d’euros en 2017 à 2,1 milliards en 2021.

A la COP27 comme cette semaine à la COP15, tant les instances internationales que les organismes comme les vôtres préconisent les « solutions fondées sur la nature ». Comment les définir ?

Une solution fondée sur la nature consiste à utiliser les services rendus par celle-ci, de s’en faire une alliée. A Pikine au Sénégal, la lutte contre les inondations passe également par la préservation de zones humides qui permettent d’écrêter les crues. Au Kenya, la restauration des terres, le reboisement, les bandes enherbées entourant le fleuve Tana, doit améliorer l’approvisionnement en eau de Nairobi. L’initiative Kiwa dans les petites îles du Pacifique vise à la restauration de mangroves pour la protection du littoral contre l’érosion. Là encore, il est préférable d’avoir une défense naturelle plutôt qu’une digue en béton.

La lutte contre le changement climatique se mesure à partir d’une métrique fiable, le CO2 émis. Rien de tel avec la biodiversité. Comment faites-vous pour juger de la pertinence d’un projet ?

En 2019, l’Ipbes a listé les menaces contre la biodiversité. Le changement d’usage des terres (la déforestation), la surexploitation des 50.000 espèces dont l’Homme se sert pour se nourrir, les pollutions chimiques, les espèces invasives, voilà nos cibles. La destruction de la nature a un effet direct sur nos existences. C’est notre nourriture, l’énergie pour deux milliards d’Hommes qui n’ont que du bois de chauffe à leur disposition pour cuire leur nourriture, nos vêtements, nos bâtiments avec le bois. On s’aperçoit alors que de très nombreux projets entrent dans le cadre de la convention biodiversité. Quand nous finançons la plus grande station d’épuration d’Afrique en Egypte, nous diminuons les pollutions et améliorons la qualité de l’eau. Les actions pour rendre plus sélectives les pêcheries entrent également dans le cadre, ainsi que le financement des actions de réduction de la pollution par les plastiques en Afrique ou encore la diffusion de foyers fermés plus efficaces pour réduire les besoins en bois de chauffe. Des financements sont également dédiés à la création d’aires protégées : restauration de milieux naturels, repeuplement d’animaux, protection de ces espaces notamment contre le braconnage, etc. Entre 2019, année où nous avons établi notre feuille de route biodiversité, et 2025, les financements nature de l’AFD seront passés de 500 millions d’euros à 1 milliard.

L’action des banques multilatérales de développement (FMI, Banque mondiale, banques régionales comme la banque africaine de développement) a été critiquée et une série de réunions va avoir lieu en 2023 pour préparer leur réforme. Que leur reproche-t-on ?

Ces banques multilatérales ont pour mission de lutter contre la pauvreté. Et elles ont eu des résultats. Mais ce but très économique et social ne prend pas en compte -ou très mal- l’environnement. Or, on comprend maintenant que le changement climatique et la perte de biodiversité sont à long terme les deux principales causes de la dégradation de la qualité de vie de l’ensemble de l’humanité. Si l’on veut diminuer la pauvreté, il faut d’abord améliorer les conditions naturelles d’existence. Cela implique de revoir de fond en comble le fonctionnement de ces institutions, leur gouvernance, leurs valeurs, leurs critères de sélection des programmes, etc. C’est ce qui va être mis en œuvre tout au long de l’année 2023 avec de très nombreuses rencontres internationales prévues.

Il faudra également améliorer l’accès aux financements. Les pays en voie de développement reprochent à nos institutions de répondre très lentement à leurs besoins. Nous avons certainement des progrès à faire. Mais on ne peut faire l’impasse sur les questions de gouvernance et on doit vérifier que l’argent va bien là où il doit aller. Par ailleurs, mettre la priorité sur la lutte contre le changement climatique et l’érosion de la biodiversité implique d’aller vérifier sur le terrain que les projets n’ont pas d’effets négatifs sur la nature. Et cela implique de l’expertise, de la science.

Source: Sciencesetavenir.fr
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