Chaussures, équipement, blessures : le football féminin, entravé par des technologies faites pour les hommes

Au football, l’équipement, les connaissances et les technologies sont pensées pour les joueurs masculins. Pour les équipes féminines, ces conditions inadaptées peuvent entraver les performances ou, pire, augmenter le risque de blessures, alertent des scientifiques.

Football féminin PSG Chelsea

Ashley Lawrence (PSG, à gauche) et Guro Reiten (Chelsea FC Women, à droite) lors d’un match au stade Jean Bouin (Paris), le 20 Octobre 2022.

Arthur Nicholas Orchard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Le football féminin n’est pas juste un match masculin dont les joueurs seraient remplacés par des joueuses. Les conditions de pratique, les équipements, les tenues, de nombreux éléments doivent être revus et adaptés à la physiologie des joueuses, dont les risques de blessures sont augmentés par ces conditions de jeu sous-optimales. Cette alerte de scientifiques, médecins et experts du football féminin, est publiée dans la revue Sports Engineering.  

Des chaussures inadaptées entraînant des risques de blessures 

« Les chaussures de foot féminines sont juste des chaussures masculines plus petites, elles ne sont pas pensées spécialement pour elles », pointe le Dr Craig Rosenbloom, médecin du sport de haut niveau pour la Football Association et le Tottenham Hotspur Football Club féminin. Les chaussures à crampon, c’est justement un des problèmes clés soulevés dans la publication. « La forme et le volume des pieds des joueuses est différente de celle des joueurs », précise Katrine Okholm Kryger, première auteure de la publication et spécialiste de la biomécanique du sport et du football féminin en particulier. Par exemple, si les petits pieds ont tendance à être plus larges et les longs pieds plus étroits, et ce dans les deux sexes, les tailles qui doivent être considérées comme petites ou grandes diffèrent entre hommes et femmes, concluaient d’anciens travaux de 2008.  

« Un autre critère important, c’est le point de courbure du pied », ajoute Katrine Okholm Kryger. Car les crampons raidissent les chaussures de football, prévues pour pouvoir se plier à un endroit précis à la base des orteils. Problème, « le ratio entre orteils et pied est différent entre les hommes et les femmes », explique la chercheuse. L’endroit de la pliure ne tombe donc pas juste pour les joueuses, qui risquent des fractures de stress à force de devoir plier le pied à l’endroit où se trouve l’os. D’autant que les crampons des chaussures féminines font la même taille que sous les chaussures masculines pour un poids et une force musculaire inférieurs, ainsi qu’une façon de se mouvoir différente. « Techniquement, la traction à appliquer pour extraire ces crampons du sol sera plus forte pour les joueuses que les joueurs », précise Katrine Okholm Kryger. Leurs crampons devraient donc théoriquement être plus courts, sous peine là encore d’augmenter potentiellement les risques de blessures – bien que cela ne soit pas encore démontré. 

Un équipement entravant l’amélioration des performances 

Là où leurs homologues masculins sont fournis en chaussures adaptées au quart de pointure près, les joueuses de football doivent donc composer avec les paires fournies par les sponsors. Même problème avec les soutien-gorges de sport, dont le modèle est dicté par le kit fourni par le sponsor et non par les besoins spécifiques des joueuses. 

Loin de permettre l’amélioration des performances des sportives, leur matériel est donc pour l’instant une source de risque et d’inconfort. Même les dispositifs spécialement utilisés pour suivre, quantifier et au final augmenter les capacités sportives jouent contre les footballeuses. Les bracelets et gilets équipés de capteurs GPS et de rythme cardiaque sont trop grands et réglés sur des paramètres spécifiques aux hommes. « Une grande partie de ces technologies de tracking ont été pensées pour les hommes, et ne sont donc pas adaptées au corps et à la physiologie féminine, causant une récolte de données sous optimale », résume la Dr Naomi Datson, co-auteure de la publication et experte de la performance sportive. Si certains modèles intégrant le dispositif dans les soutien-gorges de sport existent, ils ne sont pas toujours compatibles avec les besoins spécifiques des poitrines des joueuses, et demandent donc plus de flexibilité.  

Les retards conjugués des fournisseurs et de la recherche dans le foot féminin 

Mais les auteurs ne veulent pas fustiger les fournisseurs d’équipements sportifs. Certes, les produits sont pensés pour les hommes, mais l’essor du football féminin étant récent dans l’œil du public, il faut leur laisser du temps pour rattraper le marché qui s’ouvre à eux, argumente Naomi Datson. D’autant que les connaissances scientifiques permettant la mise au point de ces dispositifs sont également en retard. « Les fabricants reconnaissent ces problèmes et on assiste à un changement positif dans le développement de technologies spécifiques au football féminin », positivent les chercheurs. « Cependant, en raison d’un manque de recherche – les données étant souvent extrapolées des hommes aux femmes -, on n’en sait pas assez sur les défis spécifiques auxquels sont confrontées les joueuses de football de haut niveau, limitant les possibilités d’avancées technologiques ». 

Les joueuses se blessent plus 

En attendant, la plus grosse inquiétude de Craig Rosenbloom concerne la santé des joueuses. « Les joueuses ont plus de risque de commotions et de blessure au ligament croisé que les joueurs, mais on ne sait pas pourquoi. » Ces causes inconnues soulignent là encore une limitation des soins pouvant être apportés en raison d’un retard de la recherche sur le sujet. Outre les chaussures inadaptées, la qualité des terrains pourrait contribuer à ces blessures. Les matchs de football féminin de la Women’s Super League (compétition anglaise de haut niveau) ont en effet souvent lieu le dimanche, sur un terrain déjà utilisé et donc usé la veille par leurs homologues masculins.  

FAUT-IL DIMINUER LA TAILLE DU BALLON ? La taille du ballon pourrait également être envisagée à la baisse. « Les joueuses ont un plus grand niveau de microtrauma dans la matière blanche que les joueurs lorsqu’elles font des têtes avec un gros ballon, et des altérations cognitives qu’on ne voit pas dans le football masculin », détaille Katrine Okholm Kryger. Mais, précise-t-elle, les améliorations attendues de l’usage d’un ballon plus petit restent à démontrer. 

La couleur des shorts, un « changement clé »

Reste que certaines améliorations peuvent être faites sans attendre. Les footballeuses sont souvent tenues de porter des shorts de couleur claire pour coller aux couleurs portées par les joueurs masculins. « La crainte des marques de sueur et des fuites visibles pendant les menstruations est une préoccupation pour de nombreuses joueuses », pointent les scientifiques. Le staff signale d’ailleurs que les joueuses leur demandent de surveiller leurs shorts lorsqu’elles jouent dans des couleurs claires. « Certaines joueuses disent même ne pas se concentrer sur le jeu parce qu’elles craignent de s’exposer en direct avec des taches de sang visibles sur leur short », ajoutent-ils, faisant écho à l’expérience des joueuses de rugby et de tennis. Ce qui pourrait tenir du détail vestimentaire retentit ainsi sur la performance même des joueuses. Pourtant, modifier la couleur des shorts « est un changement clé qui pourrait être implémenté très facilement et rapidement”, conclut Katrine Okholm Kryger. 

Source: Sciencesetavenir.fr
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