Allemagne : la pollution de l’Oder n’est pas une catastrophe naturelle. Elle est bien d’origine humaine

Le déversement d’une solution saline fortement concentrée est probablement à l’origine de la prolifération de la micro-algue Prymnesium parvum qui aurait asphyxié des centaines de milliers de poissons et d’invertébrés dans l’Oder. Cette catastrophe d’origine humaine incite les associations de protection de l’environnement à exiger un plus grand respect de l’écosystème fluvial de part et d’autre de la frontière germano-polonaise – et donc à renoncer à tout aménagement de l’Oder pour favoriser sa navigabilité.

Poissons morts sur l'Oder

Des poissons morts à la surface du fleuve Oder.

Odd ANDERSEN / AFP

Plus de 400 tonnes de poissons morts dans l’Oder 

logo Die Zeit Crédit : Die Zeit

Prenant sa source en Tchéquie, l’Oder traverse une grande partie de la Pologne avant de former une frontière naturelle avec l’Allemagne jusqu’à son embouchure dans la mer Baltique. Long de plus de 800 km, il fait partie des rares fleuves d’Europe laissé à l’état naturel – du moins côté allemand, où le parc national de la vallée de la Basse-Oder, dans le Land de Brandebourg, est fier d’abriter près de 50 espèces de poissons, dont certaines extrêmement rares, voire disparues. Mais cet été, des centaines de milliers d’entre eux ont mystérieusement péri. 14 espèces ont déjà été identifiées : sandres, aspes, brèmes, loches dorées et loches d’étang, silures, esturgeons… Parmi les premières victimes figurent en effet les élevages d’esturgeons de la Baltique (Acipenser oxyrinchus), l’une des espèces les plus menacées d’extinction au monde, que l’Institut Leibniz d’écologie aquatique et de la pêche en eaux intérieures de Berlin (IGB) essaie de réintroduire dans l’Oder depuis 25 ans.

En tout, résume l’hebdomadaire Zeit, ce sont pour le moment près de 400 tonnes de cadavres qui ont été repêchés côté allemand et côté polonais. Mais cette masse ne représente pas encore la totalité des victimes de la pollution du fleuve. Selon les estimations de Christian Wolter, chercheur à l’IGB, la masse totale de poissons morts pourrait dépasser les 600 tonnes, voire atteindre les 1.000 tonnes. Car ils n’ont pas encore tous été repêchés, la majorité d’entre eux se trouve encore au fond du fleuve. C’est la même chose pour les mollusques (moules et escargots), les amphibiens et les reptiles qui ont également été touchés et dont on ne saurait encore évaluer la quantité. Ces cadavres posent cependant un problème majeur, car leur décomposition consomme une grande quantité d’oxygène, ce qui pourrait entraîner une nouvelle vague mortelle.

Seuls les animaux à sang froid ont été décimés, car la micro-algue Prymnesium parvum, directement responsable de leur décès, fabrique une toxine qui s’attaque à leurs tissus mous vascularisés (ouïes, branchies). Malgré les craintes des associations protectrices de la nature, les autres espèces rares et protégées qui habitent le parc national de la vallée de la Basse-Oder n’ont pour l’instant pas subi de dommages. Castors, loutres, martins-pêcheurs ou pygargues à queue blanche ont peut-être consommé des cadavres, mais pour l’instant cette consommation ne semble pas avoir eu de conséquences fatales.

On manque d’indices pour mener à bien les analyses

Logo FAZ  logo Die Zeit Crédit : Die Zeit

Pour déterminer l’origine de la pollution, de nombreuses analyses ont déjà été effectuées, sur la base des indices recueillis dès que la situation de catastrophe a pu être constatée. Les premiers groupes de cadavres ont été découverts fin juillet 2022 au sud de la ville polonaise de Wroclaw, mais c’est seulement le 9 août que les premières victimes ont été trouvées côté allemand, au niveau de Francfort-sur-l’Oder. Deux jours plus tôt, le 7 août, la station de mesure automatique avait enregistré la modification de certains paramètres à ce même endroit, retrace la Frankfurter Allgemeine Zeitung : augmentation du pH de l’eau – qui est alors devenue plus alcaline –, du taux d’oxygène – qui s’est accru de 160% –, de la conductivité, de la turbidité et du taux de chlorophylle, avec une diminution de l’azote nitrique. Autre fait notable : Le degré de salinité s’est élevé dès le 4 août. Les premières analyses visant à expliquer ces fortes modifications ont d’emblée écarté une pollution au mercure, et les chercheurs de l’IGB ont par la suite identifié la présence dans le fleuve d’une micro-algue, dénommée Prymnesium parvum, connue pour son effet dévastateur sur les poissons et les invertébrés. La toxine qu’elle libère et qui leur est fatale a effectivement été détectée à différents endroits du fleuve par les toxicologues de l’université de Vienne. Cette explication reste cependant une hypothèse, et les laboratoires allemands et polonais continuent de chercher activement ce que l’eau de l’Oder peut contenir.

Plus de 400 tonnes de poissons morts dans l’Oder

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Prenant sa source en Tchéquie, l’Oder traverse une grande partie de la Pologne avant de former une frontière naturelle avec l’Allemagne jusqu’à son embouchure dans la mer Baltique. Long de plus de 800 km, il fait partie des rares fleuves d’Europe laissé à l’état naturel – du moins côté allemand, où le parc national de la vallée de la Basse-Oder, dans le Land de Brandebourg, est fier d’abriter près de 50 espèces de poissons, dont certaines extrêmement rares, voire disparues. Mais cet été, des centaines de milliers d’entre eux ont mystérieusement péri. 14 espèces ont déjà été identifiées : sandres, aspes, brèmes, loches dorées et loches d’étang, silures, esturgeons… Parmi les premières victimes figurent en effet les élevages d’esturgeons de la Baltique (Acipenser oxyrinchus), l’une des espèces les plus menacées d’extinction au monde, que l’Institut Leibniz d’écologie aquatique et de la pêche en eaux intérieures de Berlin (IGB) essaie de réintroduire dans l’Oder depuis 25 ans.

En tout, résume l’hebdomadaire Zeit, ce sont pour le moment près de 400 tonnes de cadavres qui ont été repêchés côté allemand et côté polonais. Mais cette masse ne représente pas encore la totalité des victimes de la pollution du fleuve. Selon les estimations de Christian Wolter, chercheur à l’IGB, la masse totale de poissons morts pourrait dépasser les 600 tonnes, voire atteindre les 1.000 tonnes. Car ils n’ont pas encore tous été repêchés, la majorité d’entre eux se trouve encore au fond du fleuve. C’est la même chose pour les mollusques (moules et escargots), les amphibiens et les reptiles qui ont également été touchés et dont on ne saurait encore évaluer la quantité. Ces cadavres posent cependant un problème majeur, car leur décomposition consomme une grande quantité d’oxygène, ce qui pourrait entraîner une nouvelle vague mortelle.

Seuls les animaux à sang froid ont été décimés, car la micro-algue Prymnesium parvum, directement responsable de leur décès, fabrique une toxine qui s’attaque à leurs tissus mous vascularisés (ouïes, branchies). Malgré les craintes des associations protectrices de la nature, les autres espèces rares et protégées qui habitent le parc national de la vallée de la Basse-Oder n’ont pour l’instant pas subi de dommages. Castors, loutres, martins-pêcheurs ou pygargues à queue blanche ont peut-être consommé des cadavres, mais pour l’instant cette consommation ne semble pas avoir eu de conséquences fatales.

On manque d’indices pour mener à bien les analyses

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Pour déterminer l’origine de la pollution, de nombreuses analyses ont déjà été effectuées, sur la base des indices recueillis dès que la situation de catastrophe a pu être constatée. Les premiers groupes de cadavres ont été découverts fin juillet 2022 au sud de la ville polonaise de Wroclaw, mais c’est seulement le 9 août que les premières victimes ont été trouvées côté allemand, au niveau de Francfort-sur-l’Oder. Deux jours plus tôt, le 7 août, la station de mesure automatique avait enregistré la modification de certains paramètres à ce même endroit, retrace la Frankfurter Allgemeine Zeitung : augmentation du pH de l’eau – qui est alors devenue plus alcaline –, du taux d’oxygène – qui s’est accru de 160% –, de la conductivité, de la turbidité et du taux de chlorophylle, avec une diminution de l’azote nitrique. Autre fait notable : Le degré de salinité s’est élevé dès le 4 août. Les premières analyses visant à expliquer ces fortes modifications ont d’emblée écarté une pollution au mercure, et les chercheurs de l’IGB ont par la suite identifié la présence dans le fleuve d’une micro-algue, dénommée Prymnesium parvum, connue pour son effet dévastateur sur les poissons et les invertébrés. La toxine qu’elle libère et qui leur est fatale a effectivement été détectée à différents endroits du fleuve par les toxicologues de l’université de Vienne. Cette explication reste cependant une hypothèse, et les laboratoires allemands et polonais continuent de chercher activement ce que l’eau de l’Oder peut contenir.

Mais pour quelles raisons ces analyses prennent-elles autant de temps ? Il existe deux types de stratégies en matière d’analyses, explique à la FAZ Jörg Oehlmann, directeur du département d’écotoxicologie aquatique à l’Institut d’écologie de l’université de Francfort-sur-le-Main. On peut tout d’abord rechercher un produit cible, mais comme on utilise près de 350.000 substances chimiques au niveau mondial, cela peut prendre beaucoup de temps avant de trouver le produit responsable. La deuxième méthode, très efficace, et bien plus rapide puisqu’elle ne dure en général que trois à cinq jours, consiste à analyser les symptômes d’empoisonnement présentés par les animaux. Dans les deux cas cependant, des échantillons « frais » sont nécessaires, car les substances en cause se dégradent rapidement et peuvent ne plus être détectables. Ce problème majeur est corroboré par Wolf von Tümpling, directeur du département Analyse des eaux et chimiométrie au Centre Helmholtz pour la recherche sur l’environnement, en réponse aux interrogations de l’hebdomadaire Zeit : les produits chimiques qui ont sans doute été déversés dans l’Oder en Pologne ont pu se modifier rapidement au contact de l’oxygène ou lors de leur exposition à la lumière. Il est également possible que ces substances aient entraîné une réaction en chaîne dans l’eau du fleuve. Par ailleurs, le travail des laboratoires allemands est d’autant plus complexe que les échantillons prélevés dans l’Oder proviennent d’Allemagne, et donc bien loin de l’origine de la catastrophe. Pour que les analyses soient plus vite concluantes, on manque surtout de données concrètes, conclut le chercheur, en particulier des indications sur un éventuel accident chimique d’origine industrielle ou agricole.

L’origine de la catastrophe n’est pas naturelle, mais nécessairement humaine

taz Logo Crédit : Tageszeitung   Logo Deutschlandfunk Crédit : Deutschlandfunk

Comme l’expliquent les chercheurs de l’IGB, qui ont déterminé la présence en masse de la micro-algue Prymnesium parvum (100.000 algues par millilitre après le point de confluence avec la Warthe), la nature toxique de cet organisme ne suffit pas à expliquer la mort des poissons et des invertébrés de l’Oder. L’origine de ces décès n’est pas naturelle, mais nécessairement humaine, précisent-ils. En effet, normalement, cette algue ne peut pas vivre dans les eaux de l’Oder, car elle ne pousse qu’en eaux saumâtres – là où se mélangent eaux salées et eaux douces, comme dans les embouchures des grands fleuves qui se jettent dans la mer – et dans des eaux stagnantes, par exemple dans les lacs de retenue, rapporte la correspondante en Pologne de la tageszeitung. Il n’existe pas de lac de barrage là où la catastrophe a débuté, note-t-elle, mais à 20 km de Wroclaw se trouve le lac Bajkal, qui est une ancienne carrière inondée. Quoi qu’il en soit, le phénomène à l’origine de la prolifération d’algues est fort probablement le déversement d’une grande quantité de solution saline extrêmement concentrée, ou bien de fertilisants minéraux, dans la partie polonaise du fleuve. Dans un deuxième temps, les basses eaux ont pu renforcer l’effet des produits chimiques, car ils auront été d’autant moins dilués. Enfin, la chaleur favorisant également la croissance des algues, leur prolifération a pu être accélérée en raison de la canicule et de la hausse de la température de l’eau.

Selon la chaîne de radio Deutschlandfunk, des sources polonaises non gouvernementales ont confirmé à l’IGB le déversement, autorisé, d’une saumure dans le fleuve pendant plus d’une semaine. Le quotidien polonais Gazeta Wyborcza aurait également évoqué le déversement autorisé d’ »énormes quantités » d’eau salée provenant du réservoir de Żelazny Most, le plus grand réservoir d’Europe de résidus miniers de cuivre. La multinationale polonaise propriétaire du lieu, KGHM, aurait stoppé ce rejet le 10 août. Le spécialiste d’écologie aquatique Martin Pusch se demande cependant si une étude d’impact environnemental conséquente a véritablement été réalisée, car il y a à ses yeux « une disproportion entre la quantité de sel rejetée et la quantité d’eau dans l’Oder« . Les chiffres indiquent en effet que la quantité de sel déversée correspondrait au double de ce qui est autorisé. Pas étonnant que dans ces conditions, combinées au bas niveau de l’Oder et aux 25° C de température de l’eau, la micro-algue ait pu se développer à vive allure.

Respecter l’écosystème naturel de l’Oder

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La mort des poissons de l’Oder n’est que la partie visible de la catastrophe environnementale qui s’est jouée cet été dans le fleuve. Alors, comment pourra-t-il s’en remettre ? Pour préfigurer cet avenir à court et long terme, le magazine scientifique Spektrum der Wissenschaft a interrogé Sascha Maier, expert en politique aquatique de l’association de protection de la nature BUND. Ce dernier est également le porte-parole de la fédération « Lebendige Oder/Save Oder » (Oder vivant/Sauver l’Oder), regroupant plusieurs ONG veillant à la protection du fleuve frontalier. Pour que l’Oder puisse se régénérer et que de nouvelles populations animales puissent le repeupler, il faut dès maintenant planifier une renaturation, plaide-t-il. Le rôle des mollusques victimes de la catastrophe, dont les cadavres tapissent à présent les berges du fleuve, était en partie d’épurer l’eau. Il faudra donc pallier ce manque en misant sur les zones alluviales, qui sont nombreuses dans le Parc national de la vallée de la Basse-Oder, mais aussi côté polonais. En jouant le rôle de « filtres de surface« , ces zones pourront aider le fleuve à devenir plus résistant.

La catastrophe qui vient de se jouer représente donc une raison supplémentaire de stopper les projets d’aménagement du fleuve envisagés par la Pologne afin d’en accroître la navigabilité. L’écologue aquatique Christian Wolter explique en effet à la Frankfurter Allgemeine Zeitung que sans ces réservoirs naturels que sont les zones alluviales, l’eau du fleuve s’écoulerait trop rapidement, et ce, d’autant plus si l’on veut en rectifier le cours, comme souhaite le faire le gouvernement polonais. « Les mesures d’aménagement qui sont en prévision ne sont pas adaptées à un écosystème fluvial qui connaît des phases d’étiage marquées« , affirme ainsi Florian Schöne, président du Deutscher Naturschutzring. C’est également la position défendue par la ministre fédérale de l’environnement, Steffi Lemke (Verts), qui a organisé lundi 29 août un Conseil de l’environnement pour discuter avec son homologue polonaise, Anna Moskwa, des premiers résultats d’expertise sur la catastrophe. Pour l’Allemagne, il est impératif de mettre en place un concept écologique global entre les trois pays riverains de l’Oder, en organisant de prime abord une meilleure surveillance des eaux.

Par sa terrible ampleur, la catastrophe pourra-t-elle servir de révélateur et jouer un rôle d’avertissement ? Rien n’est moins sûr si l’on en croit les experts environnementaux polonais, qui dénoncent l’absence de respect envers la nature symptomatique de leur pays.  

Source: Sciencesetavenir.fr
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